SOCIÉTÉ

La corruption gangrène le métier de broker en Haïti

0

« Des personnes passent par un proche du directeur général des douanes, pour l’obtention du certificat d’agrément au prix de 8 000 dollars US», révèle un broker.

Read this piece in English

Durant le mois de juillet, le nom de Gina Jean Louis Rolls a défrayé la chronique en tant que broker chargée du processus de dédouanement des conteneurs au nom de l’Église Épiscopale d’Haïti. Elle a été arrêtée par la Police nationale d’Haïti puisque les cargaisons dont elle était responsable contenaient des armes à feu et des munitions. Ce dossier vient mettre en lumière le métier de commissionnaire en douane, ou broker, peu connu en Haiti.

Selon l’article de 269 du code douanier haïtien en vigueur, un commissionnaire en douane est celui qui accomplit pour autrui les formalités douanières de déclaration, de vérification, de dédouanement, de transit, d’entreposage, d’exportation ou de réexpédition de cargaisons. Il est différent de l’agent douanier qui, lui, est chargé de superviser et de vérifier les cargaisons, pour le compte de l’Etat. Il existe 278 commissionnaires en douane actifs sur tout le territoire national. Ils sont majoritairement concentrés au Cap-Haitien et à Port-Au-Prince.

Mais ces dernières années, le nombre d’agents douaniers qui jouent le rôle de brokers a augmenté. Ils signent les papiers et représentent les clients, en lieu et place d’un broker agréé, devenant ainsi juges et parties. Cela occasionne un manque à gagner pour l’État, vu que la supervision des cargaisons en pâtit.

Un mémorandum daté du 15 juillet 2022, émanant de l’administration générale des douanes, et obtenu de manière confidentielle par AyiboPost, revient sur cette pratique illégale.

« La direction générale de l’administration générale des douanes rappelle aux employés qu’il leur est formellement interdit d’exercer la profession de commissionnaire en douane, parallèlement à leurs statuts », lit-on dans ce document qui menace de sanctions disciplinaires les contrevenants.

Lire aussi: Les démarches secrètes d’un collaborateur de l’église épiscopale dans une affaire de trafic d’armes

Ce rappel fait suite à une réunion avec les commissionnaires en douane agréés qui  se plaignent du nombre d’agents douaniers qui pratiquent leur métier.

En Haïti, seuls les brokers qui remplissent les conditions fixées par la loi sont autorisés à mener un processus de dédouanement au nom d’un client. Généralement, le commissionnaire doit suivre une formation de deux ans et subir un examen préparé par l’AGD selon les prescrits du code douanier, paru dans le décret du 29 septembre 2005.

Cet examen porte sur les techniques de dédouanement, la législation douanière et les lois connexes. La réussite à l’examen est sanctionnée par un certificat délivré par l’administration générale des douanes.

Selon Me Laury-Sandry Joseph,  spécialiste en droit douanier, le broker qui veut obtenir son certificat d’agrément doit être détenteur  d’un acte notarié de sa résidence publique, signé de cinq personnes dûment identifiées, propriétaires ou exerçant une profession en Haïti. En sus, il doit soumettre un extrait de son casier judiciaire et un certificat de travail de son dernier employeur.

Depuis plus de cinq ans, cet examen n’a jamais eu lieu, selon un broker agréé qui requiert l’anonymat pour des raisons de sécurité. « Des personnes passent par un tiers proche du directeur général des douanes, pour l’obtention du certificat d’agrément au prix de 8 000 dollars US», révèle-t-il.

Questionné sur ces allégations, le secrétaire général adjoint de l’AGD, Clifford St Jean, a démenti de telles pratiques.

Lire ensuite: Accusée de trafic d’armes pour l’Église Épiscopale d’Haïti, Gina Rolls réagit

Les brokers travaillent par catégorie et doivent verser une caution au trésor public pour être autorisés à exercer le métier dans la catégorie choisie, fait savoir Laury-Sandry Joseph. Dans la première catégorie, le broker verse une caution de 50 000 gourdes, l’habilitant à remplir des formalités douanières dont la valeur en douane ne dépasse pas un million de gourdes.

« Pour la deuxième catégorie, dit le spécialiste, le broker dépose une caution de cent mille gourdes au trésor public, l’habilitant à accomplir des formalités douanières, quelle que soit la valeur en douane de la cargaison. »

La douane a toujours été une institution soupçonnée de corruption. Un agent douanier qui requiert l’anonymat par crainte d’être révoqué, confie que des agents sont parfois soudoyés par les brokers pour alléger le processus de vérification de leur cargaison.

Le broker interviewé par AyiboPost a expliqué que rien ne se fait gratuitement à la  douane. « Pour savoir si le dossier est recevable dans le processus de dédouanement, il faut verser de l’argent à un inspecteur. Idem pour s’assurer de son avancement dans un délai raisonnable », révèle le broker agréé.

Le secrétaire général adjoint de l’AGG est au courant de ces pratiques dans le système. Mais Clifford St Jean s’en remet à la conscience des agents douaniers.

Depuis 2010, l’appareil qui permet de scanner les cargaisons reçues à la douane de Port-au-Prince est dysfonctionnel, fait savoir Saint-Jean. Malgré son importance dans le processus, rien n’a été fait par l’AGD pour qu’il soit à nouveau opérationnel. « Puisque le scanner ne fonctionne plus, les agents douaniers travaillent beaucoup plus et certaines fois le résultat de ces travaux ne sont pas satisfaisants », admet-il.

Lire enfin: L’ancien chef des opérations de l’église épiscopale avait attaqué sa femme à l’acide

Le service de vérification des conteneurs se déroule parfois dans l’entrepôt de certaines entreprises, révèle l’agent douanier interviewé. Ce processus s’appelle circuit vert et généralement il est attribué aux grandes entreprises en Haïti.

« Cette pratique limite les interventions d’inspection des agents douaniers. Ils sont parfois monnayés par les entreprises ayant bénéficié du circuit vert qui, fort souvent, choisissent les conteneurs à ne pas vérifier lors de la vérification à domicile », ajoute notre source, bien au courant de ces pratiques.

Selon l’article 10 du décret du 29 septembre 2005, le broker et ses représentants sont civilement et pénalement responsables à l’égard de la douane de tous les actes accomplis dans l’exercice de leurs fonctions.

C’est en vertu de ce texte de loi que la PNH a procédé à l’arrestation de Gina Jean Louis Rolls, même si elle a déclaré qu’elle n’est pas responsable des cargaisons reçues, puisqu’elle ne réalise qu’un travail administratif et professionnel.

 

Photo de couverture/Source: site internet de l’AGD

Fenel Pélissier est avocat au Barreau de Petit-Goâve, professeur de langues vivantes et passionné de littérature.

    Comments