EN UNEPOLITIQUE

Vous ne réussirez pas, messieurs les parlementaires!

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Il devait être plus de 9 h quand j`ai commencé à écouter à la radio cette assemblée qui devait élire le nouveau Président provisoire de la République. Je ne m’attendais pas à un spectacle de charme. Non. Mon expérience avec mes compatriotes politiciens ne me permet pas d’être aussi exigeant. Je ne m’attendais même pas à être satisfait. Au fait, je voulais seulement observer en temps réel le déroulement de cet événement, puisque je me suis donné la peine de croire que c’était aussi mon sort qui se discutait dans cette assemblée.

Personne ne m’a demandé d’assister à cet événement. Personne ne m’a demandé de rester éveillé jusqu’à la fin. Mais, j`aurais tellement souhaité qu’une personne m’ait averti de cette exaspération, de ce dégout, de cette honte ou de ce ras-le-bol que cette… allait m’infliger. C’était tellement pénible que je crois avoir ressenti quelques symptômes de folie. Seul dans ma chambre, je me suis surpris à délirer.

S’il y en a certains qui était occupés à regarder la NBA AllStars, ou d’autres qui étaient très ponctuels à la célébration de la Saint-Valentin, moi j’étais devant mon écran à m’auto-flageller jusqu’après 3 h du matin. Je ne vous le fais pas dire, j’ai eu mal.

Le débat avant les élections

La première chose que j’ai déduite, c’est que le concept de qualité se détériore considérablement dans les parages. Ce n’est un secret pour personne que les hommes de qualité sont rares parmi les politiques en Haïti. Cependant, il semble à jamais révolu le temps où tout ce qui inquiétait c’était l’intégrité, la mauvaise foi ou les plans macabres de nos élus. Aujourd’hui faut-il que nous nous inquiétions de l’apparence, de la présentation, du verbe, de la lucidité, d’un minimum de protocole dont pourrait nous gratifier le politicien haïtien? Quelle terrible représentativité sous le regard du monde !

Je ne sais pas combien de fois je me suis répété : « Ki tenten sa ! ». Alors, c’était ça le plan ? C’est ce qui se mijotait entre temps ? Si vous n’y avez pas assisté en direct, vous êtes quand même chanceux. Des propositions en veux-tu en voilà ! Des discours sans fondement. C’est la guerre des « MOTIONS ». Ça partait dans tous les sens sans aucune indulgence pour la langue de Molière ni  celle d’Oswald Durand. Le sénateur Antonio Cheramy, Don Kato pour les fans, prenant la parole se mit à avertir ou menacer un député  venant dans sa direction en ces termes : « Pa kouri sou mwen Gracia ! Apa wap kouri sou mwen ! Ou konnen ou pa kapab Gracia ! ». Le député en question s’est empressé de donner une réaction aussi cohérente que sa coiffure, rappelant à son collègue qu’il est dans un débat entre parlementaires et que ces termes sont impropres. Mais, il termina quand même son intervention ainsi : « Poze ! Poze ! Poze ! Poze nèt kato », avec des gestes  menaçant  à l’appui. Puisqu’ils avaient rudement travaillé sur un char au Champs- de -Mars le weekend précédent, peut-être avaient-ils gardé des séquelles de cette ambiance, ces pauvres chanteurs…

Quelques autres interventions ont tenté de recadrer le débat. Des bêtises se faisaient entendre. Certains ne demandaient même pas le micro pour s’exprimer. La parole a été accordée au Sénateur Andris Riché, mais dépassé par le tohu-bohu qui s’installait, le président voulut changer d’avis. Le sénateur Riché s’est défendu par ces propos : « Ou pa ka deplase yon senatè konsa ! » A entendre ce législateur se défendre ainsi et me rappelant de ses habitudes grincheuses, je me suis inquiété «Mwen tou pè pou yo pa mande vote yon lwa sou deplasman senatè. » Puis un autre sénateur, M. Jacques Sauveur Jean a pris la parole d’une voix berçante, tentant de souligner quelques errances dans un discours faussement poétique. Rappelant qu’il est aussi chanteur et revendiquant les vertus de l`amour et de la musique, il a fredonné l’un de ses anciens succès. N’était-ce l’intervention du président de l’assemblée, nous aurions eu droit au couplet entier. C’est de la politique musicale! Il profita pour défendre son collègue chanteur aussi, Antonio Cheramy dit Kato que le Sénateur Youri Latortue avait traité de jeunot. Il implora ce dernier (toujours avec la voix berçante) : « Laisse-lui (Kato) le temps d`apprendre ce que c’est le parlement ». À ce moment précis, l’ébullition de mon sang me poussa encore à crier : « Ki radòt sa ! Si li bezwen aprann ke li al lekòl ! ». Mais sérieusement, avons-nous du temps pour cette tolérance ? Le parlement ne peut être une école et encore moins l’école des fans. N’était-ce pas déjà assez grave qu’il se présente aux élections? Fallait-il qu’il ignore de surcroit  que le Sénateur est un élu départemental, et qu’en tant que sénateur de l’Ouest il est plus qu’aberrant que dans son  discours de victoire de remercier les électeurs de l’Artibonite? Bref ! Quoique l’ancien ministre du compas ait été moins violent envers la langue de Voltaire, son discours aurait été plus convaincant accompagné de  quelques accords de guitare.

La proposition de la soirée a été celle de tirer un Président au sort s’il n’y a plus de recours. Je ne me rappelle pas qui l’a formulée mais c’était un parlementaire;  un autre  grand penseur de ce monde pour qui mes compatriotes ont voté.

Y a- t-il vraiment de quoi se réjouir du départ de Martelly, de la fin de ses discours grivois, de ses interventions triviales…si c’est pour écouter ces balivernes ou pour assister à ce spectacle déconcertant ? Des politiciens qui chantent ! Nous sommes à nos débuts. Il semblerait que tout ce que nous avons vu jusqu’ici ce n’était que le « Twòket ». Ils sont déjà en répétition pour nous offrir « le Concert des fous ».

Enfin le scrutin !

Il y a eu un premier tour. Pour voter, il fallait écrire le nom du candidat dans le bulletin de vote et le remettre. Pendant la lecture des différents bulletins, certains électeurs n’ont pas caché leur fanatisme, car ils avaient déjà inscrit le titre de Président dans le bulletin. Je suis prêt à parier que l’orthographe du nom des différents candidats avait été mutilée. Il y a eu un vote blanc, et sur les 22 sénateurs et 92 députés présents, le pauvre Dejan Bélizaire n’a eu aucun électeur.

Edgard Leblanc Fils et le sénateur Jocelerme Privert vont au second tour. Après plus de deux heures, le scrutin démarre enfin. La différence est remarquable. Jocelerme Privert est déjà gagnant. Peut-être grâce à une campagne de sensibilisation de dernière minute, Bélizaire obtient 2 voix. Ainsi au second tour, on se penche sur le cas de celui qu’on avait oublié. Mais sur un bulletin, le nom d’un candidat jamais mentionné auparavant est inscrit : Merde. Le pire c’est qu’après lecture de ce bulletin à haute voix, on dirait que ça n’a choqué personne.

Voilà donc le mal que je me suis infligé pendant toute une nuit pour avoir accordé de l`importance, de la considération à l’élection du prochain individu qui dirigera mon pays. Mais ce n’est pas tout. Un député de Chambellan m’a donné le coup de grâce. Exprimant son contentement après, il a comparé cet « événement glorieux » à la bataille de 1803!

Quand je pense que demain l’histoire consentira à reconnaitre ces hommes comme députés, sénateurs… des sages de la nation, au même titre que des Victor Hugo, François Mitterrand ou Barack Obama!

Chers Parlementaires,

Puisque cela fait un moment que ça dure, j’ai réfléchi et j’ai compris. Vos agitations et vos démarches ont un but précis. Vous croyez donc pouvoir nous décourager. Vous croyez pouvoir nous administrer le dégout de cette terre. Au nom de l’éducation que nous avons reçue, au nom de tous les parents qui se battent pour que leurs enfants ne ressemblent pas à  de médiocres bougres. Au nom de tous ceux qui considèrent l’éducation, les livres et la sagesse, je vous annonce que vous ne réussirez pas. Non !

Vous ne réussirez pas à épuiser notre honte. Vous ne réussirez pas à épuiser notre dignité. Vous ne réussirez pas à nous convaincre qu’Haïti ne vaut rien. Vous ne réussirez pas à nous convaincre que 1804 était la date de notre dernière victoire. Vous ne réussirez pas à estomper notre patriotisme. Nous allons continuer à partager votre nationalité et à vous « sitire » comme compatriotes. Vous ne réussirez pas à nous convaincre que vous étiez bien intentionnés. Vous ne réussirez pas à jouer cette comédie jusqu`à la fin. Vous ne réussirez pas à faire danser tout le monde comme des fous. Vous ne réussirez même pas à entrer dans l’histoire. Je déchirerai, moi-même, chaque page d’un quelconque ouvrage de mes enfants qui mentionnera votre nom. Malheur aux instituteurs qui tenteront de leur enseigner quelque chose à votre sujet.

Chantez encore messieurs pendant que l’on est au temps chaud. Dans ce royaume d’aveugles, nous resterons pour le moins, borgnes. Dans les ténèbres que vous nous imposez, nous serons au moins une étincelle.

Avertissement d’un citoyen révolté !

Je suis Steeve Bazile, entrepreneur, journaliste, mais avant tout amateur de littérature. J’ai trouvé en cette dernière, un trésor surpassant toute forme d’intelligence : le bon sens. Le mien étant régulièrement aiguisé, je m’arroge donc de dire, de débattre, d’opiner, de contester, de questionner tout ce que je crois comprendre. Un érudit, dites-vous! Mais non, je ne suis qu’un profane… Le profane avisé!

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