EN UNESOCIÉTÉ

Vle pa vle, fòk mwen pati !

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Le Carnaval s’est terminé sur une note triste, un haïtien a été pendu en République Dominicaine, les grèves d’étudiants pour la baisse du prix de l’essence sont en trêve… Nous sommes déjà à la mi-mars et la question de l’instabilité politique et des conditions de vie précaires en Haïti préoccupent beaucoup. L’un des plus grands groupes affectés est celui des finissants des écoles classiques. En effet, pour beaucoup d’élèves de terminale, c’est une période de stress et d’incertitude face à l’avenir. C’est la grande transition de l’adolescence à l’âge adulte, c’est le moment de penser intensivement à l’université. Dans quel domaine se lancer? Dans quelle université? Mais surtout, dans quel pays? Haïti, République Dominicaine, Canada, États-Unis? Même si tous n’ont pas l’option de voyager, la plupart de nos étudiants contemplent cette idée de départ. D’où vient cette urgence de s’en aller? S’agit-il d’un choix à la mode ou d’un réel besoin? 

Considérons tout d’abord ce désir comme une pratique en vogue. Dans la société haïtienne, poursuivre les études universitaires à l’étranger est presque devenu la norme. Tout au moins pour ceux qui fréquentent les « bonnes écoles respectables de la capitale » soit les écoles congréganistes et écoles privées renommées. Pour les besoins de cette discussion, retenons les écoles prisées par notre classe moyenne: les institutions Saint-Louis-de-Gonzague, Sainte Rose de Lima et du Sacré-Cœur, les Collèges Marie-Anne, Canado-Haïtien, Bird et Catts-Pressoir, le Centre d’Études, entre autres…

Il faut noter que tout comme notre société, nos salles de classe sont elles aussi stratifiées par appartenance économique. En effet, on y trouvera ceux qui ont les moyens, ceux qui ont plus ou moins les moyens et ceux qui n’ont pas les moyens d’étudier en terre étrangère.

Mes observations m’ont permis de constater que, pour beaucoup d’élèves et parents, la pression des études à l’étranger pèse lourd. Le cas des parents m’intéresse moins, puisqu’ils sont suffisamment matures pour savoir qu’il est déraisonnable de vivre au-dessus de ses moyens. Toutefois, je comprends aussi qu’ils veulent que leur progéniture ait accès à la meilleure éducation possible. Cependant après avoir été témoin de plusieurs conversations entre parents, j’ai pu réaliser, non sans un certain dégoût, que le souci d’une éducation de qualité n’était pas forcément leur premier motif. En effet à mon grand désarroi, les commentaires récurrents sont les suivants: « tout zanmi’w ap pati pou’w ret la? », « Menm si se Sendomeng li ale pitit mwen an pap ret pòtoprens ». Ainsi, pour garder la face devant le beau monde et faire partie du groupe des « parents qui ont des enfants qui étudient à l’étranger », ils sont prêts à tout. Ils hypothèquent leur maison, vendent leurs bijoux ou encore s’endettent jusqu’au cou, l’essentiel est de faire partir l’enfant!

D’un autre côté, nous avons ces jeunes qui subissent la dite ambition de leurs parents mais également la pression sociale qu’infligent leurs pairs. Ayant terminé mes études classiques il n’y a pas si longtemps, je peux confirmer qu’il est intimidant pour un finissant d’être témoin des préparatifs et des projets de voyage de ses camarades, alors qu’il est encore indécis sur ses propres projets d’avenir. J’ai vu quelques uns de mes camarades (de classe et d’autres écoles) tout faire pour une chance de partir, bien qu’en sachant que dans leur cas ce n’était pas une option. Certains élèves sont très sérieux dans leurs préparatifs: examen de SAT, cours d’anglais, cours d’espagnol, demande de multitude de relevés de notes et de lettres de recommandation, soumission de dizaines d’applications. Ils ne font que parler de leurs études à l’étranger, et se laissant emporter par l’euphorie de leurs aspirations, ils s’inventent des histoires de voyages, ou encore font des exigences exagérées à leurs parents. D’autres, s’adonnent à la recherche de bourses d’études, mais en vain car ils n’ont pas accès aux informations pertinentes ou encore n’ont personne pour placer un mot en leur faveur dans le processus de sélection.

Tenons maintenant pour acquis qu’étudier à l’étranger est un besoin: les crises politiques planent sur nos têtes comme une épée de Damoclès; les places sont limitées dans les universités d’État car il y a trop de finissants pour peu de places dans les facultés; les universités privées sont difficiles d’accès et n’offrent pas beaucoup de choix de programmes; l’obtention d’un diplôme étranger garantira peut-être un meilleur emploi, etc… Ce sont toutes des raisons valides et valables qui mériteraient d’être adressées et débattues par nos responsables et nos éducateurs. Mais, il n’en demeure pas moins que nous avons de bonnes universités chez nous, ou encore des universités décentes. Ceux qui restent aux pays suivent des cours à l’université et font leur chemin. Certains programmes offerts par l’UNDH, Quisqueya, Christ the King, le CTPEA et l’Université d’État d’Haïti sont solides et ouvrent la porte à des études supérieures à l’international. La preuve, nombreux sont ceux qui poursuivent leurs études de 2e cycle à l’étranger, parmi lesquels certains de mes cousins et amis.

Enfin, que ce soit une mode ou un besoin, des études à l’étranger constituent une charge pour un parent haïtien. Acheter le dollar américain avec des gourdes n’est pas donné! L’écolage, les livres, l’argent de poche, les frais de nourriture, le loyer ou les frais de participation aux dépenses chez un membre de la famille représentent une fortune. Se ruiner pour sauver les apparences n’est peut-être pas une bonne idée et surtout pas la meilleure façon de vivre. Ces mêmes personnes que vous cherchez à impressionner seront les mêmes à vous critiquer. Elles ne seront sans doute pas les premières à vous dépanner en cas de besoins financiers. Toutefois, en sus de l’aspect économique de la chose, il est important de rappeler que de bonnes études impliquent aussi un bon état moral. La nostalgie, les problèmes d’adaptation et de langue, le choc culturel, le stress (particulièrement celui des parents confrontés à des difficultés financières) sont tous des éléments qui affecteront la performance académique. Alors, à ces étudiants des classes terminales et leurs parents qui envisagent l’option de voyager pour les études, je vous fais un petit rappel : « Kay matant pa kay manman. ».

Étudier à l’étranger, opportunité de meilleures études? Oui. Opportunité de mieux vivre? Pas toujours.

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Aurélie Fièvre

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