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Un parcours esseulé

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La vie n’avait pas toujours été clémente envers boss Simon, mais jamais avait-on vu un homme aussi débonnaire avec un optimisme à toute épreuve dans tout Marbial. Et pourtant, il y aurait eu de quoi. Il avait perdu ses parents très tôt dans un “dlo desann” qui avait tout emporté sur son passage. Il n’avait pas pu continuer avec l’école comme son père en rêvait. Oui, boss Simon se serait sûrement rendu en ville ou même à la capitale si ses parents avaient survécu. Ils avaient toujours été des gens visionnaires. Mais l’eau avait tout emporté… et sans maison, sans récolte, des dettes … le peu de biens avait été vendu pour honorer les créanciers. Selon les paysans de la zone, si cela n’avait pas été le « lavalas », l’envie et la haine auraient poussé certains aigris à “manger” ses parents. Dans ce petit bourg, on n’aimait pas trop les gens qui visaient haut.

Ce drame qui l’avait laissé orphelin et sans ressource n’avait pas retiré sa bonhomie. Tout petit déjà, il avait toujours été un enfant serviable et agréable. Il avait été recueilli par le frère unique de son père qui lui aussi avait passé l’arme à gauche le jour de ses dix-huit ans. Il avait été le grand gagnant d’une gageure et cela avait dégénéré. Et encore une fois, la vie de boss Simon avait rebasculé. Au moment où il commençait à retrouver ses repères, où son corps de jeune homme s’ouvrait à la vie, un autre coup l’avait ébranlé. Il avait été le fils que son oncle n’avait jamais eu et même s’il n’avait pas eu les rêves de grandeur de ses parents, il lui avait appris tout ce qu’il savait jusqu’ici de la vie. C’est lui qui l’avait façonné en homme, c’est lui qui avait veillé sur lui, c’est lui aussi qui avait modelé “boss Simon”.

Oui, il lui avait appris la menuiserie, la boiserie. On avait besoin d’un “tchana”, boss Simon répondait à l’appel. Des meubles pour des nouveaux mariés, il était la référence. Tout le monde admirait son habileté à travailler le bois. C’était son oncle qui lui avait tout appris: les techniques et le choix du bois selon les besoins du client. Il lui avait aussi appris surtout l’honnêteté dans le travail. Ses prix raisonnables, son sérieux et son savoir-faire avaient fait son nom. Les gens sortaient de Jacmel, des Cayes, de la Vallée pour venir commander chez lui. Le travail ne manquait pas et il fut le premier à ouvrir un petit shop pour recevoir les commandes et employer trois autres jeunes de la zone qu’il prit sous son aile. Et c’est, aussi, à cette époque qu’il rencontra Nadia…

C’était une belle « nègès » à la peau luisante avec les cheveux bouclés que même  » l’huile mascréti », malgré ses vertus, n’arrivait pas à entièrement dompter le volume. Cette marabout tomba également sous le charme de boss Simon. Il n’était pas mal non plus à dire vrai. C’était un “potorik jèn gason” faisant un mètre quatre-vingt-dix, longiligne avec le visage émacié. Il lui raconta sa vie marquée par la solitude et la mort et elle lui confia ses aspirations. Elle rêvait de devenir une couturière renommée. Elle voulait se rendre à Port-au-Prince pour aller apprendre le métier et ensuite ouvrir un atelier chez elle à Bainet ou quelque part dans le Sud-Est.

Boss Simon admira la simplicité de son rêve qui n’était pas de migrer définitivement vers la capitale, mais plutôt d’y aller temporairement pour apprendre un métier qui pouvait se révéler utile pour sa communauté. Son défunt oncle lui avait inculqué l’amour de sa localité  à un tel point que le souvenir des plans de ses parents avait fini par être relégué dans un coin de sa mémoire jusqu’à l’oubli total. Eussent-ils été là, ses parents auraient trimé pour le pousser à devenir avocat ou médecin, de cela, il n’en avait jamais douté. Mais, la vie ne l’avait pas voulu ainsi. Et au final, il était si satisfait de son statut de simple ébéniste qu’il n’arrivait même pas à s’imaginer cette autre vie qu’il aurait pu avoir.

Il ne tarda pas à épouser Nadia qui lui donna un fils qui ne survécut pas. Sa grossesse avait été mauvaise et les bouches émirent des théories les unes plus rocambolesques que les autres. Selon certains, les filles de la zone avaient fait un « wanga » pour se venger de celle qui était originaire de Bainet et qui avait osé venir leur ravir l’un des rares hommes accomplis de la zone. Car après tout, boss Simon était aimable, sérieux et vraiment rude travailleur. D’autres prétendirent que c’étaient un boss rival de la zone qui avait fait un « travail » chez un hougan. Les langues allèrent bon train et comme toujours dans le milieu paysan, les mots furent plus forts que la raison, car, comme on disait « depi nan ginen nèg rayi nèg« . Le couple traversa une période difficile malgré la foi de Boss Simon dans un lendemain meilleur. Mais, Nadia exécrait désormais cette zone qu’elle n’avait pas hésité à adopter en venant s’y installer. Elle avait mis ses objectifs de côté pour y venir faire sa vie. Boss Simon finit par la laisser prendre la route vers la capitale en espérant que le temps de finaliser ses cours en couture, la paix reviendrait dans leur foyer et qu’ils pourraient même discuter de la possibilité d’un nouvel enfant. Mais, c’était anticiper sur la vie… Nadia partit pour ne plus revenir. Le faste de la ville la séduisit et ce fut la fin d’une histoire qui aurait pu être merveilleuse…

Pour ceux qui l’avaient connu, ils auraient pu témoigner que c’était le seul moment où il avait vacillé, dévoilé sa peine, trahi son silence. Ce fut à ce moment-là, également, qu’il commença à avoir ce regard lointain, mais son sourire ne changea pas. Il resta le simple joyeux, égal à lui-même, qui croyait en sa tasse de café la semaine et « son grog » du samedi. Il se concentra sur la seule chose qui ne l’avait jamais lâché au cours de toutes ces années : son métier. Le temps passa et l’on finit par s’habituer au boss Simon esseulé, mais toujours aussi bon et serviable. Les années avaient semé des rayons d’argent dans ses cheveux. Il s’était fait vieux, mais tout le monde le respectait. Les enfants de la zone aimaient venir lui tenir compagnie, car il leur racontait des histoires et des « krik krak ». Il levait des yeux bienveillants sur eux comme s’il aimait à penser qu’un d’entre eux aurait pu être le sien. Il restait sur sa dodine le soir à regarder la lune tout en tirant sa pipe… toujours seul.

La mort le trouva ainsi, seul encore une fois, et sur son visage, on ne put lire, au travers de ses rides, que la longueur de ses années sur terre. C’était l’un de ses protégés de l’atelier qui l’avait retrouvé assis sur sa dodine, les mains affaissées de chaque côté et sa pipe par terre. Ses mains… ses fameuses mains qui avaient créé tant de contentement au fil du temps… tant de jeunes couples avaient pu voir leurs meubles se matérialiser sous leurs yeux, tant de jeunes mères avaient souri devant le parfait berceau, ou encore le pasteur qui l’avait béni devant les bancs fraîchement refaits de l’église. Tout le monde vint saluer et payer leurs hommages au vieux défunt. C’était bizarre de voir tout ce monde s’attrister à la mort d’un simple homme du peuple. Pourtant, c’était bien le cas. On fit trois jours de veille pour lui comme le voulut la coutume de la zone et le jour de son enterrement fut aussi simple qu’avait été sa vie… sans aucun faste… On lui avait fait un cercueil sans ornement, car il avait toujours dit que la mort ne méritait aucunement du voyeurisme. On le mit en terre, tout près de l’endroit où la rivière avait fauché ses parents… là où tous ses déboires avaient commencé. Deux hommes creusèrent sa dernière demeure tout en reprenant en litanie cette phrase qu’il aimait tant  » Wangolo wale… kilè wa vini wè n anko ». C’était comme pour dire que le feu sacré qui l’animait, cette empathie envers son prochain, on voulait revoir tout ça dans les parages. On lui souhaita bon voyage en versant du café salé sur son cercueil tandis que les « crieuses » de circonstance entamaient leur oraison de cris en un dernier hommage à cet homme d’exception.

Il est rumeur que bien souvent la dodine de Boss Simon dandine seule sur la galerie de la petite maison en bois qu’il avait construite de ses propres mains. Était-ce l’effet de la brise ou tout simplement l’esprit de Boss Simon en visite dans cette zone qu’il avait tant aimé en dépit de tout?

Personne ne saurait le dire, mais tous ceux qui le connaissaient jettent encore un tendre regard vers cette petite galerie qui avait dû connaître la véritable âme du bon vieux boss Simon.

Crédit photo: Georges Harry Rouzier

 

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