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« Sipòte andikape se yon jès lanmou », un slogan démagogique ?

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La justice n’est point l’amour ; elle est ce qui soutient l’amour quand l’amour est faible, ce qui remplace l’amour quand l’amour manque.
Alain

Il est dans l’air du temps de faire appel à l’humanité enfouie en nous. L’Etat, les médias, dans la famille, les amis, tous rivalisent de stratégies pour nous rappeler notre nature et l’obligation de solidarité qui serait son corollaire indiqué. L’occurrence de ce rappel qui souvent n’est qu’un fragile paravent pour dissimuler et légitimer des requêtes parfois suspectes rend certains méfiants. Car la technique fonctionne : une simple demande refusée n’équivaut pas à une autre drapée dans son impératif d’humanité ; cette sorte d’obligation qui culpabilise quiconque serait insensible à son interpellation allant parfois jusqu’à dénuer au fautif le qualificatif « d’être humain » (avec un cœur qui bat).

Admettre que certains malfrats ont adopté la technique n’implique pas d’ignorer les flots incessants de corps épuisés, vidés et terrassés que la misère et les inégalités sociales recrachent quotidiennement sur nos trottoirs. Il s’agit plutôt de reconnaître que, de même le vœu de célibat ne met pas nos pauvres prêtres à l’abri des assauts fébriles du désir (même quand TOUJOURS ils exècrent les sentiers qui mènent au pénible passage à l’acte) de même, ne sont pas toujours bienveillants ces gens qui nous abordent dans la rue, prêts à louer un acquiescement, mais prompts à se scandaliser du refus dont serait responsable le suppôt de Satan qui enveloppe notre âme.

L’arnaque atteint son paroxysme quand pour taire ses faiblesses et détourner de son irresponsabilité, l’État fait immixtion dans l’intimité des citoyens pour leur réclamer ce qui ne lui est pas dû. J’entends par là qu’il n’est pas du ressort du président ou des institutions de la république d’exiger des citoyens de la tendresse pour les handicapés, de l’amour pour leurs voisins ou de la générosité pour les miséreux. On est ici en présence de sentiments qui échappent au suffrage public et qui parfois échappent à l’individu lui-même. Qui en effet connaît les mystères qui occasionnent l’emballement de deux cœurs éloignés ou entretiennent une fatale détestation entre deux frères consanguins ?

En lieu et place d’une campagne médiatique du genre « Sipòte andikape se yon jès lanmou », la collectivité gagnerait mieux à ce que l’Etat fasse respecter scrupuleusement la législation en vigueur. La politique publique responsable, réaliste et potentiellement efficace est celle qui rappelle les normes d’accessibilités, construit des centres éducatifs spécialisés et favorise l’accès des handicapés au marché du travail en bravant nos préjugés par l’institution s’il le faut de quotas obligatoires.

Les handicapés n’ont que faire de l’amour de l’État. Ils ne quémandent pas la bonté contingente ou pire, la pitié de leurs concitoyens : ils ont soif de justice. C’est mal traduire leurs volontés que de demander qu’on s’apitoie sur leur sort, alors que réellement, ils exigent le respect de leur dignité humaine et que les récalcitrants soient contraints de se plier à la loi.

L’appel au compassionnel est pour l’État l’autre nom de l’incompétence

Les défavorisés, les pauvres, les rejetés et les damnés de la terre n’aspirent pas à l’intimité de l’amour sociétal. Les fruits saisonniers de cet arbre convoités bien qu’alléchants, surprennent parfois à être avariés. En vérité, la multitude se languit de l’établissement d’une communauté humaine équitable. Pour le reste, à chacun de faire comme il l’entend.

Widlore Mérancourt est éditeur en chef d’AyiboPost et contributeur régulier au Washington Post. Il détient une maîtrise en Management des médias de l’Université de Lille et une licence en sciences juridiques. Il a été Content Manager de LoopHaïti.

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