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Sept secondes de quintessence de football

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Messi et Di Maria ont envoyé l’Argentine aux quarts. Le but de Di Maria en toute fin de rencontre, sur passe de Messi, synthétise le football dans ce qu’il a d’intelligence (comprendre) et d’esthétique (habileté digne de contemplation).

Essayons de décortiquer par la prise en compte de trois éléments : l’espace, les joueurs directement concernés et le temps.

L’espace

L’action se passe exactement sur la ligne médiane, côté gauche de l’attaque argentine à environ huit mètres de la ligne de touche ; Palacio est en train de gagner un duel avec Lichsteiner. La zone « démilitarisée » belge, c’est-à-dire l’espace entre la ligne classique de défense et la ligne classique du milieu de terrain, est très haute. Et entre ces deux lignes, une bonne vingtaine de mètres laisse comprendre que les Suisses prennent le risque d’une attaque de la dernière chance, faisant confiance à Lichsteiner possesseur du ballon, mais qui sera contrarié par Palacio. Ainsi, entre Djourou, Shaer et Rodriguez, les trois autres défenseurs suisses, d’une part, et les deux médians défensifs Inler et Behrami, d’autre part, un large espace inhabituel où on voit presque alignés de gauche à droite, Palacio, Messi, Higuain, Di Maria. La zone démilitarisée belge est donc infestée d’ennemis.

Les joueurs et le temps

Quand Palacio chipe le ballon des pieds de Lichsteiner, il transmet illico à Messi positionné à cinq mètres du rond central. Les trois défenseurs suisses sont désemparés; Messi a le temps d’effectuer deux contrôles, se dirigeant à toute bouline vers le but suisse. Higuain s’envole se créer un trou entre Djourou et Rodriguez; Di Maria étend et bat ses ailes ; Palacio poursuit l’action. Djourou et Rodriguez sont obligés de reculer, tactique classique, tandis que Schaer sort défier Messi qui contrôle le ballon une troisième fois pour l’éviter. Deux autres contrôles suivront avant la passe décisive exactement à l’entrée du demi-cercle. Sur un plan serré de la télévision, on voit les yeux de Messi regarder Djourou et Rodriguez : il les fixe, jamais un clin d’œil vers Di Maria sur sa droite. Il se trompe, ou il oublie, ou il ment, quand il dit « qu’au dernier moment il voulait frapper au but mais il vit Di Maria démarqué, et il choisit de lui passer le ballon». Il faut croire au contraire que Messi avait photographié et l’espace et les joueurs dès sa prise de balle sur la passe initiale de Palacio. Dans le même temps, Behrami, Inler, et Shaer qui a été dribblé par Messi, se donnent à fond pour rattraper celui-ci, qui en 4 secondes, a couvert vingt-trois mètres, a eu le temps de passer à Di Maria sans le regarder, ce que n’a pas tout de suite compris Higuain qui pensait que c’était une passe mal ajustée de Messi pour lui-même. Deux secondes se sont écoulées entre la distance parcourue par la passe du pied gauche de Messi au pied gauche de Di Maria et la frappe de l’Ange à contre-course de Benaglio le gardien suisse, application de la théorie de Romario selon laquelle il faut placer le ballon au côté opposé de la course du gardien de but. Il restait deux minutes à jouer. L’exultation des Argentins en simultanéité de Lichsteiner accroché dans les filets suisses exprime la cruauté de la vie. Le Suisse n’avait pas le regard hagard : c’étaient des yeux réalistes qui s’efforçaient de surmonter l’atrocité de la douleur provoquée par les clameurs argentines, autant de coup de fouet dans le dos d’un supplicié stoïque.

Patrice Dumont

Patrice "Pepé" Dumont est professeur d’Histoire, Relation internationale et Communication. Journaliste et commentateur sportif, il dirige l’émission Sportissibo à Radio Ibo. Reste toujours impliqué dans la vie politique et sociale d’Haïti.

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