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Qu’y a-t-il à se remémorer au Mémorial de l’indépendance des Gonaïves ?

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Au cœur de la ville des Gonaïves, non loin de la place d’armes et à l’angle des rues Liberté et Louverture, se dresse un édifice qui normalement devrait servir de patrimoine pour toute l’humanité. Le Mémorial de l’indépendance – comme l’indiquent les lettres apposées à la façade principale du bâtiment – est censé commémorer la mémoire des héros de la seule révolution anti-esclavagiste, anti-colonialiste et anti-ségrégationniste que le monde ait connu. Mais un tour des lieux n’enlève pas grand-chose à l’appétit des rares visiteurs de ce monument.

 

Deux cents quatorze (214) ans d’histoire comme peuple libre, c’est ce que nous venons de célébrer ce 1er janvier 2018. Au terme de quatorze (14) ans de lutte sans merci, une armée d’anciens esclaves a finalement vaincu la plus puissante des armées de l’époque, celle de Napoléon Bonaparte. Si la France a décidé d’occulter cette partie de son histoire, nous autres, en Haïti ne pouvons nous permettre un tel camouflage, d’où la raison d’être du Mémorial de l’indépendance. Le devoir de mémoire s’impose. Mais une question demeure : qu’avons-nous à présenter, à exposer pour à la fois attirer des visiteurs et empêcher que des faits et gestes de nos ancêtres ne soient tombés dans l’oubli ? Lucien Febvre n’avait-il pas raison en affirmant que l’histoire est un moyen de comprendre et, par là même d’agir sur le cours des événements ?

 

Un monument méconnu du grand public

Des années durant, ce mémorial a été tout, sauf un endroit historique. Ou du moins, il l’était pour les jeunes couples qui venaient souvent s’y installer le soir, profitant de l’obscurité qui enveloppait la ville non électrifiée. « Quand j’étais petit, j’ai cru que c’était une place publique, car les portes n’étaient jamais ouvertes et les gens avaient l’habitude de se donner rendez-vous à l’extérieur avec leurs copains ou leurs copines. Il faisait toujours noir », se souvient un jeune trentenaire qui habite aux alentours du Mémorial. Pour Robenson, l’endroit s’apparentait à un lieu mystique : « Je ne savais pas ce qu’on faisait à l’intérieur. Ça a toujours été un mystère pour moi ».

Ils sont donc nombreux les Gonaïviens à ne pas connaître la valeur symbolique de cet édifice. Certains en ignorent même l’existence. Inutile d’en parler pour le reste du pays. Pourtant, quoiqu’il ne soit pas en mesure de donner une date précise, M. Mackendy Févrin, directeur du mémorial, croit que ledit monument existait déjà quelques années après l’indépendance d’Haïti. « En 1939, sous la présidence de Sténio Vincent, ont débuté les premiers travaux de réhabilitation », signale-t-il. « Et depuis, plusieurs autres travaux de rénovation ont suivi. Les derniers en date remontent à juillet 2016 ».

 

Des efforts de réhabilitation en vue

Photo : Kendly Fendell Dorval

Depuis le 17 octobre 2016, jour de commémoration de la mort du père fondateur de la patrie, le mémorial a trouvé un second souffle. Il a rouvert ses portes et des gens – des écoliers surtout – ont commencé à venir le visiter. Mathieu Painvier, peintre et directeur de la Caravane Art Expo, en a même profité pour exposer ses œuvres. Grâce à son partenariat avec le Mémorial de l’indépendance, ses tableaux accrochés aux cimaises de l’enceinte assurent une exposition permanente.

Ainsi pour une modique somme de vingt-cinq (25) gourdes, les visiteurs peuvent contempler des œuvres picturales retraçant des scènes de la guerre de l’indépendance, des signatures de certains esprits du vodou (vèvè) – éléments décisifs dans la conquête de l’indépendance – et des portraits de buste de certains officiers de l’armée indigène.

Un canon, vieux de plus de deux cents (200) ans soutenu par un charriot, fait partie de l’un des rares documents de valeur historique présent dans l’espace. Largement insuffisant pour un monument qui charrie tant d’histoires ! L’on parle tout de même de l’endroit où l’acte de l’indépendance de la première république noire au monde a été rédigé puis signé, comme en témoigne la stèle incrustée de marbre située au rez-de-chaussée du bâtiment. Ce lieu a également été témoin de la tenue de plusieurs réunions des indépendantistes au cours de la guerre, raconte-t-on.

Que fait l’ISPAN ?

L’on se demande alors où est passé l’Institut de Sauvegarde du Patrimoine National (ISPAN), dont la mission est, entre autres, de réaliser des études de projets de protection, de restauration et de mise en valeur de monuments, de sites et d’ensembles historiques ; d’assurer la direction et le contrôle des travaux d’exécution de telles interventions ? Le Mémorial de l’indépendance ne fait-il pas partie des catégories susmentionnées ?

À défaut des originaux, ne pourrait-on pas y avoir une réplique des armes de combat utilisées à l’époque ? Une réplique des morceaux de tissus ou des vêtements portés par les soldats de l’armée indigène ? Des statues ou des statuettes des héros ? À l’heure où la technologie occupe une place prépondérante dans notre quotidien, ne serait-il pas plus intéressant de pouvoir y visionner un film simulant la guerre de l’indépendance ? Question de jouer sur le côté émotionnel des visiteurs tout en alliant l’art, l’esthétique, l’histoire et la culture. Ne pourrait-on pas avoir des panneaux explicatifs racontant la geste de 1804 ?

Au mémorial de l’indépendance des Gonaïves, l’histoire est surtout racontée dans son oralité. Un musée d’une telle importance a besoin de toucher les sens sous différentes formes, de susciter de l’émotion. Mais l’on n’en est pas encore là. Beaucoup reste donc à faire pour attirer des visiteurs, pour donner une certaine visibilité au site. Et pourquoi pas rendre l’espace plus commémoratif ?

Romaric Fils-Aimé

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