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Opinion | Quand une Constitution démocratique consacre la dictature

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Cet article est le résultat d’une collaboration entre Widlore Mérancourt et Naed Jasmin Désiré

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L’exception et la règle ne peuvent s’exclure. Elles évoluent dans le cadre d’un rapport dialectique. Cependant, il y a des exceptions qui naissent d’une volonté de mépriser la règle, de lui enlever son bien-fondé jusqu’à la dénaturer. Le 11 janvier 1999, un cas d’espèce qui s’inscrit dans cette catégorie de pensée a été mis en exergue. Le président René Préval, en rejet de la hiérarchie des normes, avait constaté la « caducité du Parlement », en faisant prévaloir un article d’une loi électorale sur les dispositions constitutionnelles régissant les mandats des élus. On était loin d’imaginer qu’une brèche était ouverte et que les nostalgiques de l’époque dictatoriale emprunteraient aux fins de prendre d’assaut l’édifice démocratique.

En guise de rappel, le fondement de la démocratie moderne repose principalement sur la séparation des pouvoirs. L’article 59 de la Constitution de 1987 fait état de la délégation de l’exercice de la souveraineté nationale à trois pouvoirs: le Législatif, l’Exécutif et le Judiciaire. Chaque pouvoir étant indépendant des deux autres dans ses attributions qu’il exerce séparément.

« Aucun d’eux ne peut sous aucun motif déléguer ses attributions en tout ou en partie ni sortir des limites qui sont fixées par la Constitution (article 60–1) et par la loi. »

Ce sont là des garanties essentielles afin que le pouvoir puisse, comme le veut Montesquieu, arrêter le pouvoir et, corollairement, protéger l’État contre les poussées totalitaires, notamment du président de la République.

Cependant, il faut savoir aussi que l’initiative des lois appartient aux Chambres comme au pouvoir exécutif (article 111, Constitution 1987). Le  Parlement fait les lois, mais l’Exécutif peut contribuer à la législation en déposant des projets de loi par-devant les Chambres ou en prenant des arrêtés d’application et le cas échéant des décrets.

Dans la tradition civiliste, les décrets sont des instruments d’application d’un pouvoir qui est l’apanage de l’Exécutif et que la doctrine baptise du nom de pouvoir règlementaire. De plus, dans la hiérarchie des normes, les actes règlementaires sont inférieurs à la loi et par conséquent ne peuvent la modifier.

Toutefois en Haïti, dans des situations d’exercice d’un pouvoir autoritaire ou de rupture de l’ordre démocratique, l’Exécutif dans l’histoire a toujours dirigé par décrets ou par décrets-lois. La pratique au fil du temps a consacré le décret comme un instrument ayant une valeur équivalente à la loi. Par conséquent, le débat qui nous intéresse ici est d’une part politique, d’autre part éthique.

Politique

Quand l’article 136 de la Constitution en vigueur prescrit que le Président de la République assure le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l’État, le législateur le tient pour responsable de tout dysfonctionnement de l’ordre étatique, donc de la non-tenue des élections, quelle qu’en soit la cause. Il l’enjoint concomitamment à assurer la continuité de l’État. Il ne peut le faire en cas de vide parlementaire ou de subversions démocraticides impromptues qu’en prenant des décrets et des arrêtés, instruments relevant notamment de ses prérogatives règlementaires.

Le Président a provoqué, d’une certaine manière, la situation de dysfonctionnement institutionnel menant à la gouvernance par décret. Il a par conséquent perdu la confiance populaire quant à sa bonne foi et à sa capacité à faire primer l’intérêt général. Sa légitimité en a pris un coup.

Ethique

En Haïti particulièrement, l’incivisme de nombre de nos dirigeants fait craindre l’édiction unilatérale de décrets claniques dans l’intérêt des grandes puissances influentes aux dépens de l’intérêt général.

Le Président confronté à cette impasse institutionnelle et politique, et ayant techniquement le décret comme outil de gouvernance sans aucune délimitation constitutionnelle quant aux domaines pouvant être réglementés par décret, il n’en tient qu’à son sens éthique pour la préservation de l’Etat de droit et pour la prévention des abus de toutes sortes possibles.

Enfin, dans tout pays qui se dit démocratique, le chef de l’État ne saurait faire main basse sur les prérogatives du pouvoir législatif et du pouvoir judiciaire sans que cela constitue une atteinte sévère au fondement de l’État de droit et de la démocratie. Comme l’a dit Montesquieu dans « L’esprit des lois »:

« Tout détenteur du pouvoir est porté à en abuser. »

Que faire? La seule façon, selon moi, d’arrêter cette hémorragie et d’occulter les précédents suicidaires de 1999 et de 2015 que nous indexons, est de réserver formellement certains domaines à la loi. Ainsi, si la fabuleuse époque de la dictature dont certains se réclament ouvertement fait  son come-back et que le locataire du Palais national tente de saisir au vol cette opportunité, il se heurtera aux dispositions prohibitives dont la transgression conduit à la Haute Cour de justice.

 

 

 

Widlore Mérancourt est éditeur en chef d’AyiboPost et contributeur régulier au Washington Post. Il détient une maîtrise en Management des médias de l’Université de Lille et une licence en sciences juridiques. Il a été Content Manager de LoopHaïti.

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