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Quand les médias haïtiens font oublier l’essentiel

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Chaque député a reçu un million de gourdes et chaque sénateur quatre millions, environ 5 mois après l’entrée parlementaire. Pour 92 députés, ça fait un total de 92 millions de gourdes et pour 22 sénateurs, 88 millions de gourdes. Sur les ondes de Radio Visa FM (88.1FM), à l’émission #Vizavi, le député Jean Robert Bossé a déclaré que l’argent en question a été distribué cash aux parlementaires.

S’agit-il d’un retour d’ascenseur du président Jocelerme Privert après avoir obtenu les votes des parlementaires pour devenir président ? Il faut rappeler que Jocelerme Privert, une fois au palais national, n’avait pas cessé de marteler que les caisses de l’Etat étaient vides. L’actuel ministre du Commerce, Jessy C. Petit Frère, a dû appeler la BID au secours pour assurer le paiement des membres de son cabinet. Faute d’argent, le ministre de l’Education nationale a annoncé que les examens du bac à partir de l’année prochaine seront désormais payants.

Où donc, le gouvernement -ou la présidence- a pu dénicher ces millions pour les distribuer en argent liquide au parlement? Il s’agit quand même de 180 millions de gourdes si l’on considère l’ensemble des députés et sénateurs. Il faut cependant garder certaines réserves sur le montant total, dans l’éventualité où certains parlementaires n’auraient pas touché le magot. Ce qui représenterait des cas d’exception.

Pour vous faire une idée, disons simplement que dans le document du budget pour l’exercice fiscal 2016-2017, le crédit alloué à l’Office de Protection du Citoyen est de 48 millions de gourdes et celui de l’Académie du Créole, un peu plus de 25 millions de gourdes. Ces deux institutions indépendantes totalisent 73 millions de gourdes dans le budget, soit moins de la moitié de l’argent mis à disposition des parlementaires, sans justification et sans traçabilité, par le pouvoir actuel. Pour pousser la réflexion un peu plus loin, comprenez qu’avec 180 millions de gourdes, l’Etat Haïtien peut assurer un salaire de 30 000 gourdes à 500 personnes pendant un an. Ne disait-on que l’Etat n’a pas les moyens pour assurer un salaire raisonnable aux médecins des hôpitaux publics ? Rappelons que le budget de la santé est revu à la baisse, passant de 5.4% à 4.5% du budget total. Et ironiquement, la somme d’arrosage en question (180 millions de gourdes) dépasse le budget de l’Unité de Lutte Contre la Corruption (ULCC) !

Pourquoi donc ce silence des fameux gardiens de la morale publique du parlement ? Pourquoi n’étaient-ils pas montés au créneau pour dénoncer cet acte de corruption?

Il y a par ailleurs d’autres chiffres intéressants qu’une presse se voulant responsable devrait normalement s’atteler à éplucher. Le 27 juin 2016, le Ministère de l’Education Nationale et de la Formation Professionnelle (MENFP) annonce que 207 247 élèves prendront part aux examens du bac unique. La facture des examens s’élevait à 400 millions de gourdes. Un budget revu à la baisse, puisque initialement, il était prévu 650 millions de gourdes pour assurer le déroulement des épreuves. Au début du mois d’août, le ministre Jean Beauvoir Dorsonne, annonçant la réduction des subventions de l’Etat pour la rentrée des classes, a profité pour annoncer que pour les prochains examens du baccalauréat, les postulants devront verser des frais de 750 gourdes. Il évoquait alors des contraintes budgétaires et un nombre assez élevé de 240 000 postulants cette année. Brusquement, le ministre ajoute dans sa déclaration 32 752 postulants aux chiffres précédents du ministère. Avec les résultats du bac, on peut facilement vérifier les 166 662 participants aux examens de la philo cette année. Soit 40 585 postulants de moins que ce qu’avance le MENFP en juin 2016, soit 73 338 postulants de moins que le chiffre du ministre Dorsonne.

N’y a-t-il pas anguille sous roche?

Pour l’exercice fiscal 2016-2017, le pouvoir Exécutif compte légèrement augmenter le crédit budgétaire du Ministère de l’Education. Ainsi, de 21.19 milliards de gourdes, soit 17.3% du budget total pour l’exercice fiscal en cours, pour le prochain exercice, l’enveloppe du MENFP passe à 21.22 milliards de gourdes, soit 17.4% du budget total. N’est-il pas logique de se demander, pourquoi malgré une révision à la hausse, le MENFP compte faire payer les examens du baccalauréat ?

De telles anomalies dans le système devraient occuper constamment le temps et les débats au sein de nos médias et du parlement. En mettant le festival MasiMadi sous les feux des projecteurs, les médias ont amplifié l’évènement sans vraiment penser à produire l’information véritablement sous-jacente. Très peu de journalistes ont pensé au B-A= BA de l’information rapportée. La règle des cinq W (qui, quoi, quand, comment, pourquoi) que tout apprenti journaliste est censé connaitre et respecter a été négligée voire ignorée. En s’associant au tohu-bohu populiste, beaucoup de journalistes ont simplement profité pour s’afficher du côté des moralisateurs sélectifs. C’est ainsi qu’on crée de « Grands Journalistes ».

En attendant l’autre scandale, le festival fait la une des débats pour escamoter le procès bizarre de l’ancien directeur général de l’ONA, le scandale PetroCaribe, les 16 arrêts de débets émis depuis l’année dernière par la Cour Supérieure des Comptes et surtout son rapport défavorable à l’encontre de l’ancien Premier ministre Laurent Salvador Lamothe. On omet également le mandat d’arrêt émis contre Marc Antoine Acra pour trafic de cocaïne, une discussion approfondie sur le budget et surtout les détails importants concernant les prochaines élections.

Directeur de la Publication à AyiboPost, passionné de documentaire.

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