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Peut-on légalement porter plainte contre harcèlement sexuel en Haïti ?

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En Haïti, le harcèlement sexuel est un fait de société jusqu’à présent ignoré par la loi. La loi condamne l’agression sexuelle qui diffère cependant du harcèlement. Ce vide juridique laisse les victimes sans recours tandis que leurs agresseurs sont libres de circuler.

Rosena Matthieu (nom d’emprunt), étudiante en psychologie à la Faculté des Sciences Humaines affirme avoir été harcelée sexuellement plusieurs fois. « C’est presqu’inévitable. En Haïti, explique t-elle. On s’attend toujours à ces incongruités d’une manière ou d’une autre », elle semble être de plus en plus habituée à ces approches désobligeantes, surtout de la part des hommes. Mais, elle se rappelle particulièrement d’un harcèlement qu’elle a subi de la part d’une femme en 2013.

Tout a commencé lors d’une cérémonie d’intégration de nouveaux étudiants. « Dans la foule, une étudiante s’était approchée de moi et essayait de s’accoler à moi de dos par des gestes osés », témoigne Rosena. Se sentant gênée, elle s’est déplacée du public. Mais un peu plus tard, elle a remarqué que son agresseur la poursuivait. « J’étais obligé de quitter rapidement l’espace par mesure de sécurité », poursuit-elle.

Jusque là, Rosena avoue qu’elle ne pensait point à un harcèlement sexuel. « Je ne m’en suis rendu compte que la deuxième fois qu’on s’est rencontré à la faculté. Elle a publiquement repris les mêmes actes obscènes », dit-elle. Plusieurs autres actions s’en suivront. Rosena précise que son agresseur ne s’est jamais senti gêné dans son agression . « C’est ce qui m’a surtout intrigué. Elle a agi sans aucune crainte même dans un espace public », conclut-elle. Rosena n’a eu, cependant, aucune intention de porter plainte en justice.

Un fait de société méconnu par la loi

Le harcèlement sexuel est considéré comme « le fait d’imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou des comportements à connotation sexuelle ». Ces manœuvres portent atteinte généralement à la dignité de la victime à cause de leur caractère dégradant et provoquant, par la même occasion, une situation inconfortable chez cette dernière. En Haïti, plusieurs cas démontrent l’existence et l’évolution accélérée de ce type de comportement dans différents secteurs de la vie nationale.

En 2014, un groupe de sept journalistes de la Radio Télévision Nationale d’Haïti (RTNH) ont, dans une lettre ouverte, dénoncé les abus et les actes de harcèlement à répétition de la part de leur directeur. La correspondance acheminée au bureau des ministres de la Culture et à la Condition Féminine et aux Droits de la Femme n’a pas produit les résultats escomptés. L’affaire a été tranchée sans être transférée par devant la justice. Quatre des journalistes ont été licenciés pour « diffamation, insubordination et atteinte grave à l’image de la RTNH et de son directeur général ».

Dans une enquête publiée en 2015, la Solidarité Fanm Ayisyen (SOFA) et le Réseau National des Droits Humains (RNDDH) dénoncent la recrudescence des actes de harcèlement à l’encontre des femmes dans le secteur du travail. Les résultats de ce rapport affirme que 8% de femmes de l’administration publique et des ONG ont témoigné avoir été directement victimes de harcèlement sexuel. La statistique la plus alarmante concernait le secteur des travailleuses domestiques et de la manufacture où 11% des femmes ont révélé avoir subi au moins une fois, des actes de harcèlement.

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En 2016, une coalition d’organismes de défense des droits de l’homme a soumis au Conseil des Droits Humains des Nations Unies un rapport sur la situation des droits de la femme en Haïti. Ce bilan prouve une fois de plus que Haïti avance mal sur la question de l’égalité des genres en dépit des conventions internationales ratifiées. La législation haïtienne, jusqu’ici ne considère pas le harcèlement sexuel.

Comme Rosena, les victimes gardent le silence craignant de subir doublement les discriminations sociales. La faible quantité qui choisit de dénoncer leurs bourreaux se heurte souvent aux faiblesses du système judiciaire incapable de rétablir les faits.

Et le code pénal ?

La désuétude du code pénal haïtien est l’une des causes majeures de cette situation. Greffé sur le code napoléonien de 1810, les articles n’ont jamais pris en compte de la réalité haïtienne. Jusqu’en 2005, l’article 269 du code pénal de 1835 qui était en vigueur excusait le mari qui commettait un meurtre sur sa femme et son complice surpris en flagrant délit d’adultère. A l’inverse, la femme qui se trouve dans la même situation risquait une condamnation de deux ans de prison. Ce n’est qu’en 2015 que cette loi a été abrogée par décret pour ses portées discriminatoires à l’encontre des femmes. C’est l’une des grandes victoires des luttes menées par les organisations et associations féministes.

La coordonatrice générale de «Fanm yo la» (une association féministe), Natacha Clergé, indique que ce décret ne considère pas le harcèlement sexuel. « Quoique selon un rapport du Ministère à la Condition Féminine et aux Droits de la Femme, le harcèlement sexuel peut faire l’objet d’une plainte sur le fondement des dispositions du Code pénal », explique-t-elle. Actuellement, le Ministère de la Condition Féminine et des Droits de la Femme travaille sur une loi-cadre sur les violences faites aux femmes et aux filles qui prend en compte les cas de harcèlement sexuel, notamment en milieu du travail.

Natacha Clergé s’interroge déjà sur les suites que donneront les autorités à cette loi. « En général, le parlement prend 5 ans pour adopter les lois qui concernent spécifiquement les femmes », déplore-t-elle. Elle rappelle aussi que la loi qui garantit de meilleures conditions aux travailleuses domestiques « s’ennuie » dans les tiroirs du Palais National depuis trois ans.

Les autorités politiques, bien que conscientes de cette caducité du code pénal, n’ont toujours pas manifesté une velléité de procéder à sa refonte. Le rapport des organisations de défenses des droits humains susmentionné, affirme avoir également attiré l’attention de l’administration de Michel Martelly sur l’abysse discriminatoire qui existe entre les genres. « Le gouvernement a reconnu dans sa réponse au comité pour l’élimination de discrimination à l’égard des femmes en 2015 , que l’élimination des lois discriminatoires devait être faite par la révision du Code pénal, du Code civil et du Code d’Instruction Criminelle Haïtien », selon ledit rapport.

* Haïti ne figure pas dans le rapport du Forum Economique Mondial sur la parité entre les femmes et les hommes.

Journaliste et communicateur

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