AYIBOFANMEN UNERECOMMENDEDSOCIÉTÉ

Ne me jugez pas chère société!

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Je rentre dans un bar huppé de Pétion-Ville aux bras de mon homme. Non, ne soyons pas hypocrites, appelons un chat un chat! Ce cinquantenaire à la peau claire, grand propriétaire de  plusieurs magasins de la capitale n’est pas mon homme, il est mon  » boss » et moi sa maîtresse depuis maintenant cinq ans.

Ne prenez pas cet air choqué! Du haut de mes 25 ans, j’ai vécu 7 vies en une et croyez- moi ce dont j’ai été témoin dans ce petit cercle fermé, n’est rien comparativement à cet aspect de ma vie que je me propose de vous raconter.

Si vous me croisiez à ses côtés, je suppose que vous ne vous feriez pas prier pour me critiquer. Imaginez ce tableau: jeune femme dans la vingtaine à la  peau couleur pêche, pas trop foncée pour rappeler à cet homme la  » masse » dont la misère se fait juge de cette opulence malsaine qui l’a toujours entouré, pas trop claire pour lui rappeler cette femme qui porte son alliance et à laquelle il a été promis depuis la naissance pour garder le pedigree de son nom de famille et de sa classe.

J’aurais pu être sa fille je le sais bien, mais à certains égards ne le suis-je pas?

N’est-ce pas lui qui prend soin de moi? N’est-ce pas lui qui m’a aidé à finir de payer mes études de comptabilité, qui m’a donné un travail respectable dans l’un de ses magasins? Travail qui me permet de soutenir mon petit frère venant à peine de finir son dernier cycle du secondaire qui aimerait devenir informaticien; travail qui me permet d’alléger les peines de ma pauvre mère hypertendue et diabétique, qui a trimé seule avec sa petite barque au marché Salomon pendant longtemps pour payer l’écolage de ses deux enfants à qui elle voulait offrir l’éducation qu’elle n’a jamais  pu recevoir …

Putain de luxe! Telle est votre pensée chère société! Mais au moins cette putain de luxe que je suis a su saisir sa chance et se construire plus ou moins une vie.

Détrompez vous, je ne saurais en aucun cas oser espérer qu’un jour je remplacerai sa femme. Le fossé entre nos deux mondes se présente souvent à moi, à chacune de ces soirées lors desquelles il se pavane avec moi pour se sentir fringant, pour se donner l’illusion qu’il est heureux. Je sais qu’un jour viendra où il me remplacera par une autre beaucoup plus jeune, mais je suis assez intelligente et réaliste pour économiser encore un peu plus chaque jour afin de me sauvegarder un futur plus ou moins décent.

Ne me jugez pas chère société car vous aurez des comptes à vous rendre à vous-même! Où étiez- vous quand à 19 ans je pleurais amèrement lorsque je m’étais rendue compte, que l’on avait biffé mon nom sur la liste d’admission de l’une de vos facultés étatiques car un  » parrain » devait faire rentrer à tout prix la fille de l’un de ses chers amis? Où étiez- vous quand j’essayais de me trouver un stage au début de mes études de comptabilité et que vous aviez préféré prendre la fille d’un tel à cause de son nom beaucoup plus connu que le mien?

Je n’ai fait que suivre les règles de votre propre jeu! Je me suis fait maîtresse de l’un des propriétaires de cette grande arène aux lions qu’est notre société.

La prochaine fois que vous me croiserez dans un de ces bars de Pétion-ville et que je soutiendrai votre regard avec effronterie, vous saurez pourquoi! Je ne suis que le miroir des tares de ce système du  » chyen manje chyen  »  que vous avez instauré pour servir vos intérêts  et que vous refusez de changer .

Milady Auguste

Étudiante en médecine, patriote , passionnée d'art , d'histoire et de littérature , j'ai une personnalité très polyvalente qui se manifeste à travers mes écrits . Grande observatrice j'utilise ma plume et les mots pour peindre tout ce qui m'entoure. Si vous croisez un jour une jeune femme qui vous observe avec de grands yeux ayant à portée de main son IPad ou son portable et qui affiche un sourire énigmatique ou malicieux , vous saurez que c'est moi ! ;)

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