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Masques à terre..

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Quand les masques tomberont…

Linda entra dans la douche en sifflotant. Elle tomba nez à nez avec son mari qui en sortait. Ils se frôlèrent sans se regarder. La femme eut envie d’hurler en voyant les vêtements sales de Gary traînant à côté du panier de linge. Il avait tellement de manies qui l’énervait ! Elle pourrait faire une liste qui n’en finirait pas.

Son habitude rebutante de boire la bouche pleine lorsqu’il mangeait; de ne pas rabaisser la lunette des toilettes après y être passé; de laisser ses vêtements sales tout juste à côté du panier de linge vide; de comparer sa façon de prendre soin de leur fille avec celle de la voisine; son problème d’accumulation compulsive qui le poussait à conserver même les vieilles chaussettes qui ne servaient plus; sa façon de lui lancer « yo pa fòse w fè anyen » lorsqu’elle bourriquait dans toute la maison à nettoyer et cuisiner tandis que lui écoutait de la musique, peinard dans sa voiture.

Parfois, Linda se demandait comment elle avait pu épouser une personne qui, maintenant, suscitait tour à tour deux sentiments chez elle : l’agacement et la frustration. Elle sentait que l’indifférence n’était pas loin et ne faisait rien pour éviter d’en arriver là. Elle savait alors que ce serait tout simplement la fin de leur couple. En fait, lorsqu’elle y pensait, c’était de savoir que sa fille ne sortirait pas indemne d’un divorce qui l’angoissait, sinon, rien de plus. Elle ne considérait pas que le divorce serait un échec dans sa vie, mais tout simplement le résultat inévitable d’un choix fait alors qu’elle était trop jeune.

Les premiers jours de leur mariage, ils parlaient beaucoup, sortaient, passaient du temps ensemble. Ils allaient au boulot ensemble et de retour du travail, ils échangeaient sur les petits soucis au boulot et ils partageaient leurs petites victoires en mangeant. Ensuite, ils prenaient leur douche et se vautraient sur le canapé ; lui devant la télé, elle avec un livre ou vice-versa. Puis, ils se mettaient au lit et faisaient l’amour jusqu’à tomber de sommeil.

Maintenant…

Linda soupira en ramassant les vêtements sales qu’elle mit dans le panier à linge. Ils démarraient la journée sur les chapeaux de roues pour que leur fille soit à l’école à temps. Ils se séparaient, parfois, sans avoir le temps de se dire au revoir. En rentrant du boulot, Linda finissait de s’épuiser en aidant Kika avec ses devoirs tout en préparant le souper. Lorsqu’enfin Kika dormait, Linda, crevée de fatigue, se laissait tomber sur le canapé en se promettant d’aller prendre un bain dans cinq minutes mais souvent, elle s’endormait. Gary, lui, qui faisait souvent des heures supp’ jusque vers huit heures du soir, s’énervait en rentrant, de trouver sa femme ronflant dans le salon plongé dans le noir, la plupart du temps, avec sa tenue de travail sur le dos.

Il avait fini par se convaincre qu’elle le faisait exprès pour le rebuter, pour qu’ils ne fassent pas l’amour.

Depuis la naissance de Kika, Linda n’avait d’yeux que pour sa fille. Elle était devenue une mère et Gary s’était senti trahi, comme si elle l’avait utilisé comme donneur de sperme. Linda prenait bien plus soin de dépoussiérer la maison que de nourrir leur relation. Elle lui gueulait dessus pour une chaussette sur la coiffeuse mais ne semblait pas s’inquiéter de voir leur mariage au bord du précipice. Quand il l’invitait à sortir, elle lui reprochait de vouloir aller bambocher alors qu’elle crevait de fatigue.

Ils avaient fini par nourrir l’un envers l’autre de la rancœur. Ce sentiment amoureux qui les avait poussés à s’unir jusqu’à ce que la mort les sépare avait longtemps disparu de leur couple, étouffé par la routine. La passion, le désir, la surprise, les rituels de séduction, Linda avait cru cela fini pour elle. Jusqu’à ce que…

Jusqu’à ce qu’elle rencontre ce nouveau client dont on lui avait confié les dossiers à l’agence. Sourire charmeur, conversation brillante et un sex appeal qui écrasait Linda. Il flirtait gentiment avec elle. Et elle, elle commençait à s’en vouloir d’avoir laissé ces kilos gagner du terrain sur son corps depuis des années. Elle recommençait à se maquiller. Son cœur se mettait à faire des cabrioles endiablés dans sa poitrine lorsque l’homme en question franchissait la porte de son bureau. Et lorsqu’il l’avait embrassé sans crier gare aujourd’hui, elle avait senti un petit organe longtemps en sommeil vibrer entre ses cuisses.

Elle se regarda dans le miroir, incapable de croire qu’elle puisse encore attirer un homme. A 38 ans, des ridules commençaient déjà à apparaître autour de ses yeux. Elle était loin d’être une belle femme mais son visage avait de la personnalité.

Elle commença par se démaquiller. D’abord les yeux qui parurent moins grands sans l’eye liner, puis le nez qui révéla sa largeur sans le contouring, puis la bouche qui fut moins pulpeuse sans le rouge à lèvres, et enfin les petites imperfections de la peau que le passage du coton imbibé de lait nettoyant laissa à nu.

  • Ou konnen w son bèl fanm madan Legrand

Elle sursauta. Gary était resté devant la porte à la regarder et elle ne s’en était pas rendu compte. Elle regarda son mari. Son visage était fatigué, lui aussi commençait à avoir des ridules autour des yeux, mais il avait gardé son large sourire. Il avait pris du poids autour du ventre surtout. Il s’approcha et la serra dans ses bras. Elle se raidit, croyant qu’il voulait lui faire l’amour. Il la relâcha en sentant qu’elle remontait le mur entre eux et quitta la salle de bain.

Elle recommença à se regarder dans le miroir et se rendit compte que, dans quelques années, ses cheveux commenceraient à grisonner, que sa peau perdrait son élasticité, que le maquillage ne la rajeunirait pas aux yeux d’un homme qui passerait dans sa vie le temps d’exécuter un contrat. Gary, lui, serait toujours là. Il la verrait en colère, frustrée, fatiguée, triste, malade, vieille. Il serait toujours là si elle le souhaitait. Et, elle n’aurait pas besoin de masques pour se cacher, pour se savoir appréciée ou pour recevoir un peu de cette tendresse que les époux ressentent l’un envers l’autre lorsque la passion du début disparaît naturellement.

Lorsque les masques tomberont, il ne resterait qu’eux deux…

Jowann

 

J'écris parce que le monde est dégueulasse. Le jour où il ne le sera plus, je me mettrai au chant!

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