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Maarten Boute sur Martelly, Natcom et la relation de Digicel avec ses clients

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Le 5 décembre 2017 lors de la Marche contre la corruption organisée par le Collectif 4 Décembre, un groupe de manifestants s’est dirigé vers les locaux de Digicel à Turgeau pour dénoncer certaines pratiques de la compagnie. En 2008 lors des émeutes de la faim Digicel était l’une des rares compagnies à être épargnées des casses. En neuf ans, l’image de Digicel aux yeux de la population a pris un sacré coup. Dans la deuxième partie de notre interview avec Maarten Boute, Président de Digicel Haïti, nous abordons le déficit de confiance de Digicel aux yeux des consommateurs haïtiens, le rapport de Digicel à la politique et la concurrence Digicel-Natcom.


 

Monsieur Boute, pourquoi avez-vous adopté la nationalité haïtienne ?

C’est un choix, mais c’est aussi un cadeau que j’ai reçu. J’aime beaucoup ce pays. Je l’aime de tout mon cœur. J’ai grandi en Afrique. J’ai des attaches en Belgique qui ne sont pas des attaches très fortes. Je suis parti à 11 ans. Ma mère est hollandaise, mon père est Belge. Depuis longtemps, je me sens plutôt citoyen du monde que citoyen Belge techniquement parlant. J’aime Haïti. Je pense que c’est un pays dans lequel j’ai envie de rester dans la durée. C’était plus un choix émotionnel qu’un choix rationnel par rapport à des affaires ou des ambitions ou quelque chose comme ça. C’est plus par amour et c’était aussi quelque part un cadeau de reconnaissance que j’ai reçu pour l’amitié que j’avais avec l’ancien président Martelly. Une amitié personnelle qui n’a rien à voir avec la politique. On peut être ami sans être d’accord avec les orientations politiques ou autres. Il faut bien distinguer cela aussi.

 

Est ce que Digicel a financé le pouvoir Tèt Kale de Michel Martelly et Jovenel Moise ?

Digicel ne finance aucune campagne politique. Quand vous avez eu ces discussions sur les cartes qui ont circulé à l’époque soit-disant pour Jovenel Moise, c’est juste parce que ces gens qui mènent ces campagnes électorales achètent les cartes chez nous. Ils nous ont collé dessus des labels pourtant Lavalas l’a fait aussi bien que Michel Martelly. Si eux, ils avaient plus de moyens de le faire, ils ont acheté plus de cartes. Quand on a des services de SMS comme le 888 ou 828 ou d’autres disponibles, ils sont vendus par la Digicel à d’autres acteurs aussi. Tous ceux qui sont intéressés à en acheter l’ont fait. Vous avez du entendre des « robots calls » qui venaient de Jude Célestin ou de Mme Manigat. L’utilisation qui a été faite par les chefs de campagne de divers partis est tout simplement différente. Certains ont plus utilisé la technologie que d’autres. Donc, Digicel ne finance aucune campagne électorale. Vous pouvez regarder dans nos livres. Ils sont à la DGI également. Nous ne sommes pas dans cette dynamique.

M.Boute en 2012, après l’acquisition de Comcel/Voilà Digicel a possédé 80% du marché. Pensez-vous que l’Etat haïtien devait accepter qu’une compagnie ait autant de parts du marché ?

L’acquisition de la Comcel par Digicel était une conséquence de la faillite imminente de la Comcel. Il est important de comprendre le changement de la donne avec la rentrée de Viettel. Viettel n’est pas un petit opérateur. Viettel est un groupe de télécommunications qui fait vingt (20) fois la taille de la Digicel. C’est le plus grand opérateur du Vietnam qui opère au Cambodge, au Laos, au Cameroun, en Tanzanie. Il est de loin plus grand que le groupe Digicel. Viettel est la branche commerciale du ministère de la défense de l’armée vietnamienne. Ce sont des militaires en civil qui sont là. Viettel a même l’appui de l’Etat Vietnamien. Je trouve cela triste et étonnant qu’un groupe de cette envergure fasse un investissement qui n’a rien à voir avec celui de la Digicel. Regardez par exemple leur bâtiment, la façon de presenter leurs boutiques! Ce n’est pas une critique, mais c’est dommage que l’Etat haïtien n’encourage pas son partenaire (Viettel) à être plus sérieux et  à faire une concurrence qui serait digne de ce nom.

Avec l’arrivée de Natcom en 2010-2011, Digicel a lancé un plan d’investissement conséquent pour faire face à ce nouveau concurrent. Nous avons pu aller dans les zones rurales, on a investi énormément après le séisme pour élargir notre réseau. Comcel a choisi de ne pas le faire. Elle avait les moyens de le faire, elle a fait le choix de ne pas le faire en croyant que Viettel n’était pas sérieux et que cela n’allait jamais aboutir. Avec l’entrée de Natcom, elle a encore une fois baissé les prix et proposé des offres très agressives. Comcel s’est très vite vu dans une situation financière précaire. Elle a cherché un acheteur et c’est en voyant qu’elle va être achetée, je pense que l’Etat a accepté d’approuver ce rachat.

Ce n’est pas quelque chose qui est propre à Haïti. Par exemple il y a des débats concernant la fusion de Time Warner et de A&T, l’impact de cette fusion aux Etats-Unis est largement plus grand que le rachat de Voila par Digicel en Haïti.

Quel effet cela vous fait lorsque vous constatez que nombreux de vos clients possèdent un téléphone Natcom ?

Cela ne me dérange pas. La concurrence est là. J’espère qu’ils feront le choix de ce qui leur plait le mieux. C’est à nous de travailler pour qu’ils fassent le choix de la Digicel.

 

Envisagez-vous de vendre Digicel-Haiti un jour ?

La Digicel est un groupe. Je ne vois vraiment pas M. O’Brien décider de vendre dans un pays et ne pas vendre dans les autres. Est-ce que c’est possible que d’ici 5 ou 15 ans il décide de vendre le groupe parce qu’il veut prendre sa retraite ou il veut faire autre chose ? Il est le seul actionnaire, donc il a cette liberté de décider. Actuellement ce n’est pas du tout dans les plans. Nous allons moderniser notre réseau et nous avons communiqué là-dessus. Nous allons procéder à  la modernisation de notre compagnie au niveau mondial avec la compagnie ZTE et nous allons restructurer la compagnie pour faire face aux nouvelles réalités du marché. C’est un marché qui est en forte décroissance. Nous devenons de plus en plus un tuyau internet sans fil au lieu d’être un opérateur de minutes, de SMS. Nous devons nous adapter à cette nouvelle réalité. Une grande partie de nos revenus a été cannibalisée par Whatsapp, par Facebook et les autres outils qui existent aujourd’hui. C’est une réalité qu’on ne va pas battre. Donc nous devons nous ajuster aux fins d’être une base qui permet de lancer des applications via l’utilisation de notre réseau. Nous devons être assez humbles pour comprendre que nous devons changer comme nous sommes d’ailleurs en train de le faire.

 

M. Boute sur l’éventualité d’un 3ème sur le marché Haïtien

Récemment vous avez eu des échanges sur Twitter avec la correspondante de RFI en Haïti, Amélie Baron. Il y a des gens estiment que Digicel accorde un traitement spécial à certains clients. Comment réagissez-vous à ça ?

Si les gens me connaissent sur Twitter, ça fait des années que je réponds aux doléances des clients. S’il y a un client qui me taggue @mboute sur Twitter, qu’elle s’appelle Amélie Baron ou Jean-Baptiste ou Anne-Marie, je réponds également. Peut-être ce qui s’est passé dans ce cas, c’est qu’Amélie Baron a beaucoup de followers et par conséquent la perception des gens a été biaisée. Vous pouvez voir qu’il y a d’autres personnes à qui j’avais répondu avant et je continuerai de répondre. Ce serait difficile techniquement de répondre à tout le monde en même temps, si tous les 4 millions d’abonnés m’écrivent en même temps. Allez-y ! Posez-moi des questions mais s’il vous plait restez dans des choses qui sont  concrètes et des choses sur lesquelles je peux agir.

 

Depuis février, on a annoncé que Digicel allait réduire son staff de 25%. En Haïti vous avez mis sur pied un programme de départ volontaire. Pourquoi ce programme ?

Je vais d’abord vous parler un peu de la raison. Je vous ai expliqué que le secteur change et que dans cette nouvelle approche c’est le client qui prend de plus en plus la main dans sa propre expérience. D’où les lancements d’outils tels *111#, My Digicel APP et d’autres changements que nous allons faire dans les années à venir. En même temps, nous avons les revenus qui baissent de façon considérable à travers le groupe. Pour la survie de la compagnie sur le long terme, nous étions obligés de prendre certaines décisions. Donc, c’est un plan de départ volontaire. Nous avons proposé des packages au-delà des obligations légales qui permettent à ces employés de quitter la compagnie, peut-être aussi de poursuivre leurs rêves. Il y a des gens qui étaient là depuis longtemps, qui rêvaient de régler leurs propres affaires, de partir à l’étranger pour étudier, de se marier, de faire des enfants. Tous ces types de plans qu’ils avaient et n’avaient pas mis à exécution, seront financés par cette manne financière qu’ils ont dans le cadre de ce départ volontaire. Donc, il n’y a eu aucun forcing, aucune personne n’a été pressurée d’accepter ce plan. Les gens l’ont choisi par eux-mêmes et d’ailleurs vous avez vu. Nous n’avons jamais eu de problème de gens qui se sont plaints de cela en interne, ni de gens qui sont allés aux Affaires Sociales. Contrairement à notre concurrent qui ne paie pas assez les employés de son call center pour citer un exemple. Cela fait de la peine parce que personnellement l’une des raisons pour laquelle je suis là, c’est de pouvoir créer des emplois.

 

Boute en 2008, lors des émeutes de la faim les manifestants ont épargnées les locaux de la Digicel. C’était une réaction de cœur. Si la même situation se reproduise pensez-vous que les gens réagiraient de la même façon?

Pas actuellement malheureusement. Je suis personnellement attaqué parfois sur les médias sociaux ou dans la rue. Ça fait environ un an depuis que la situation se complique. On a commandé une étude de marché très détaillée pour comprendre réellement ce qui se passe et prendre du recul. On a compris qu’on a plusieurs défaillances. On a une défaillance de communication liée à la façon dont on a conçu les plans « data ». On doit mieux expliquer comment fonctionne le data et les plans.

Nous savons que nous avons des problèmes de réseau mais que nous sommes bloqués. C’est sur cet aspect que nous avons commençons à  discuter avec l’Etat haïtien depuis deux mois. Le président a tout de suite compris que quelque part il y a un problème. Il a donné des directives à ses ministres pour leur dire d’avancer maintenant sur les dossiers, mais il faut que Digicel paie le prix. Digicel paie le prix plein et va être très transparent sur ce que nous payons. Parce que je ne veux pas être accusé d’avoir eu des faveurs de qui que ce soit dans ce dossier. On a mis en place des équipes qui travaillent à l’amélioration, la transparence dans nos services et le renouvellement de notre réseau, on pourra regagner cette confiance des consommateurs. J’espère qu’en attendant, les citoyens savent et comprennent aussi que nous sommes une bonne compagnie.

Nous avons lancé 172 écoles à travers le pays. Il n’y a même pas une instance de l’Etat qui peut dire qu’elle a construit autant d’écoles. Il n’y a pas la BID qui peut dire qu’elle a fait autant d’écoles. Ce ne sont pas de petites écoles. Ce sont de belles écoles de neuf classes, parasismiques et paracycloniques. Dans la Grand’Anse la plupart de nos écoles ont été utilisées comme des abris pendant les ouragans. Il n’y avait presque pas d’autres abris dans les villages. Ce sont ce genre de choses qu’il faut remarquer quand vous sortez de Port-au-Prince, quand vous sortez des medias sociaux et du négativisme qui existe. Heureusement qu’il y a encore un nombre d’Haïtiens qui nous aiment, qui nous donnent un peu de temps.

 

Interview de Ralph Thomassaint Joseph

Lisez aussi la première partie de de l’interview

 

Directeur de la Publication à AyiboPost, passionné de documentaire.

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