POLITIQUESOCIÉTÉ

Lèw chèf, bò lakay ou a gen wout !

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Lorsque vous passez plus de sept heures chaque jour sur la route dans les embouteillages et que la grande majorité des gens sont à pied, vous avez tout le loisir d’écouter « parler le peuple ». Et avec lui, on ne va pas par quatre chemins : « Privè se yon salop…. Bagay konsa pa t ap janm fèt sou Mateli ». Des mûres et des pas vertes. Alors intérieurement, je souris. L’histoire est vraiment un éternel recommencement et nous, haïtiens, n’en apprenons rien. Rien du tout. Vous avez tous dû entendre un jour « sou Divalye bagay yo te pi bon, te gen kouran, kanaval yo te pi bèl… ». Mais à quel prix ? Que faut-il donc pour contenter les Haïtiens ?

Au final, très peu. Pour les gens qui comme moi triment sur la Route Nationale #1 ou sur la Route 9, il nous faut juste un pont. Et c’est à cause de ces derniers, branlant pour le premier et inexistant pour le deuxième, que le président provisoire se fait traiter de cochon et que Michel Martelly se fait encenser. Nous avons une mémoire extraordinairement courte, juste trois mois. C’est peut-être un don utile dans notre contexte, pour ne pas doucement verser dans la folie.

Revenons donc à ceux qui marchent des kilomètres chaque matin et chaque soir pour vaquer à leurs occupations journalières. Donc, si Martelly était encore au pouvoir, le pont de la Route 9, sur lequel aucune intervention n’a été faite jusqu’à présent, serait probablement déjà debout. Ce serait sûrement le cas, il faut bien que le président et sa longue suite puissent se rendre à la plage à toute heure du jour… ou de la nuit. Ils ne peuvent pas vivre le calvaire du simple quidam. Quelle idée ! Trois à quatre heures de bouchons interminables sur moins de cinq kilomètres d’asphalte. Parce que, certaines fois, quand l’entrelacs des voitures est à son comble, aucune sirène, aucun gyrophare, aucun klaxon intempestif ne fait bouger les choses d’un iota. Alors on se sent un peu moins « chèf », même après avoir créé une énième ligne. Donc, si Martelly était encore au pouvoir, les « chefs » auraient été moins embêtés et tout le monde serait content. Sauf que tout ce qu’a fait Martelly, comme tous les autres avant lui et probablement encore ceux qui viendront après lui, c’est de réparer ou construire les routes dont ils se servent. La preuve : le débouché de Péguy-Ville sur la Route de Frères, la petite route de Pierre-Payen qui mène à sa maison de plage à Anse-Pirogue ou encore la route de Côtes-de-Fer. Où est l’intérêt général dans tout cela ?

C’est aussi le même constat pour les autres services publics. L’électricité, l’eau, le nettoyage des rues et des canaux : on n’attend que cela ! Qu’on ait un « chef » nommé ou élu dans son quartier pour voir « yon pase men nan wout la » ou encore « yon ti kouran nan katye a ». Cette pratique est tellement ancrée dans nos mœurs qu’on m’a rapporté que quelqu’un habitant le quartier du président provisoire s’était étonné de n’avoir plus l’électricité le dimanche. Quel embarras pour un « chef » qui devrait être synonyme de propreté et de lumière ! En conséquence, si les gens habitant la Plaine du Cul-de-sac n’ont pas de routes asphaltées ou même carrossables ni de pont praticable pour traverser la Rivière Grise, c’est qu’ils sont en manque de « chefs ». Peut-être que c’est vrai que « Laplenn nan twò piti pou yo ». Alors, ce pénible exode, ce chemin de croix durera encore quelque temps, des semaines voire quelques mois. On se fera des mollets en béton, des fesses d’acier, des ennemis comme ces deux chauffeurs qui se sont rentrés dedans ou encore des amis, comme ce jeune homme qui est descendu de sa voiture pour nous offrir deux de ses sachets d’eau qu’il venait d’acheter. C’est peut-être cela l’intérêt général après tout : le vivre ensemble. Humanité quand tu nous tiens…

Pour comble, hier soir, après près de cinq heures d’embouteillages, j’ai trouvé un poteau de l’EDH étalé au beau milieu de la rue de chez moi. Apparemment, un camion du CNE serait le fautif. Cela prendra probablement une semaine (vœu pieux) pour le remplacer et voir le service rétabli. Oh, Seigneur ! À quand mon « chèf » à moi.

Leïla Emmanuelle Anglade

Crédit photo : radiomotofm.info 

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