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Les oubliés de La Pointe

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Le bord de mer reste à travers le monde et spécialement dans la Caraïbe un espace convoité. Les propriétés côtières en général revêtent de grandes valeurs. Elles sont génératrices de revenus primordialement via le tourisme. En Haïti, nos côtes habitent les pires bidonvilles et les gens y vivent dans conditions infrahumaines. La Pointe, à Jérémie, illustre bien le désastre qu’est l’occupation des côtes haïtiennes.     

Il est environ 11 heures du matin. Le soleil s’abat sur la ville de Jérémie mouvementée et bruyante, qui se remet petit à petit des séquelles de Matthew. A La Pointe, les gens qui s’étaient refugiés dans les hauteurs reviennent installer des abris faits de tôles ramassés et de bâches, dans l’emplacement de leurs maisons emportées par l’ouragan. Les vagues s’abattent rageusement  sur le littoral, et sur la mer, il n’y a qu’un seul voilier qui tangue. Dans l’air, il se dégage une odeur bizarre, un mélange d’excrément et d’eau de mer.

Une fillette d’environ sept ans apparait subitement au bord de la mer. Près d’un tas de coquilles de lambi elle se baisse, défèque et s’essuie avec une pierre ramassée au sol. Ensuite, elle saisit un morceau de bois, le passe entre ses fesses et vérifie le badigeon. Satisfaite, elle le jette au sol et s’enfuie rapidement.

Cette pierre et ce morceau de bois ont peut-être déjà servi à essuyer d’autres personnes avant elle. L’eau de mer les a simplement lavés pour le service du prochain utilisateur. C’est ainsi que cela se passe habituellement à La Pointe. Cette scène qui peut choquer un visiteur, est tout simplement un fait banal pour les résidents de la zone.

Pas de latrines

A Jérémie, le bord de mer est habité par les plus pauvres. « La seule latrine que nous disposions nous a été construite par un blanc. Elle a été emportée par l’ouragan », nous apprend Marc Elie en pointant du doigt un emplacement en béton. Marc Elie qui est en troisième année à l’école normale de Jérémie est originaire de la commune de Chambellan. Ce futur enseignant de 28 ans, comme pratiquement tous les habitants de La Pointe, fait ses besoins au bord de la mer sous les regards de tout le monde. « Il m’arrive parfois de ne pas pouvoir déféquer, surtout lorsque les gens m’observent. J’ai du mal à respirer l’odeur de ma propre déjection », nous raconte t-il avec un certain gêne.

Un fort disparu

Autrefois, La Pointe abritait le « Fort La Pointe » dont les Jérémiens ne connaissent pas vraiment l’histoire. Bien avant Matthew, ce fort était négligé et ses canons occupaient le sol. L’ouragan n’a fait que détruire davantage l’espace qui servait de place publique. Les cinq canons qui restaient ont été déplacé vers la mer suite au cataclysme. Jean Daniel Saint-Fleur qui habite la zone depuis trente ans, se rappelle que du temps de son enfance, il y avait en tout huit canons dans le fort. « Les pêcheurs remontent parfois des pièces de canons qu’il vont peser pour les vendre aux acheteurs de métaux », nous révèle t-il.

Jadis, le fort La Pointe servait d’espace de promenade et de rendez-vous galants aux habitants de Jérémie. Les écoliers y venaient pour étudier et repasser leurs leçons sous les lampes qui éclairaient la place. Aujourd’hui, il ne reste plus rien, sinon que les cinq canons érodés par l’eau de mer. Pour circuler sur la côte, il faut toujours faire attention là où l’on met les pieds, tellement le sol est jonché d’excréments.

Lorsque le cholera est arrivé dans la ville de Jérémie, les zones côtières, dont Lapointe, ont été sévèrement touchées par l’épidémie à cause de ces problèmes graves d’assainissement. Après Matthew, le choléra a connu une légère remontée et les habitants de la zone ont reçu leur dose de vaccin.

Village de pécheurs sans assistance

 « La pêche est l’activité principale de laquelle dépend plus de 90% des résidents de la zone », nous apprend Erissé Yvenson, secrétaire de l’Association des Pêcheurs Artisanaux Haïtiens (APAH) qui regroupe 145 pêcheurs.

Le seul Dispositif de Concentration de Poisson (DCP) dont disposaient ces 145 pêcheurs n’existe plus. L’ouragan a détruit la plupart des matériels de pêche. « Nous avons perdu nos chaloupes, nos moteurs et les filets. Nous ne connaissons que la pêche et nos matériels sont détruits.  La faim nous tue. On n’a rien distribué ici », lance Edner Louis Jeune rapiéçant une voile déchirée.

Ludovic Hilaire, un homme dans la cinquantaine, essaye tant bien que mal de réparer son bateau abimé par l’ouragan. Il y applique des morceaux de tissus, de  la résine et de la peinture. Il espère dans quelques jours reprendre la mer pour pouvoir nourrir sa famille.

Rare sont les pêcheurs qui ont repris leurs activités. Les femmes qui habituellement, leur prenaient le poisson pour le vendre au marché, n’ont maintenant aucune activité économique. Certains pêcheurs, face à la précarité qui s’installe, vont louer des pirogues dans la commune de Corail où leurs confrères ont pu les préserver.

L’aide humanitaire n’a pas encore atteint les résidents de la Pointe. Les rares distributions qui se font dans la ville ne les concernent pas. Certains résidents ont reçu des cartes de distribution de la part de certaines ONG, mais jusqu’à présent, ils n’ont rien obtenu. Les plus capables et les plus débrouillards se rendent là où les distributions se font dans la ville. Quelques-uns ont pu apporter des bâches, de la nourriture, du savon et du papier hygiénique. Par solidarité, ils partagent avec ceux qui n’en n’ont pas.

Pour l’instant, le principal souci des résidents de la Pointe est la reconstruction des abris et l’assistance alimentaire. Les pêcheurs attendent l’assistance de l’Etat pour relancer la pêche.

Ralph Thomassaint Joseph

Directeur de la Publication à AyiboPost, passionné de documentaire.

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