SOCIÉTÉ

Le créole, un symbole identitaire ou un facteur d’exclusion?

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Ces temps-ci, beaucoup de campagnes de sensibilisation se font pour promouvoir Haïti, que ce soit par la culture, par les arts, par l’histoire, etc… Cette tendance est tellement palpable que l’on serait portés à qualifier notre époque d’«ère de la revalorisation de l’image d’Haïti». Ces efforts aident à projeter une image positive du pays en mettant en valeur les points forts qui nous ont valu le surnom de Perle des Antilles. Par contre, lorsque le sujet est traité de façon plus approfondie, on remarque qu’une belle partie de notre héritage culturel est encore négligée. Qu’en est-il de notre langue maternelle, le créole? 

La grande majorité des haïtiens scandent à haute voix qu’ils sont fiers de leur pays malgré la situation dans laquelle il se trouve. Sur les réseaux sociaux, ils sont nombreux à s’affirmer : « Haitian till i die », « Proudly made in Haiti », « Haiti represent », « Team 509 ». Bref, toutes ces expressions et bien d’autres encore sont utilisées pour exprimer leur fierté et leur sentiment d’appartenance à leur cher pays. À les entendre parler, on serait tenter de croire que le sentiment patriotique est profond chez eux. Mais suffit-il d’afficher ces expressions sur les réseaux sociaux, de teinter sa biographie aux couleurs du bicolore, d’attendre chaque fête nationale pour afficher le drapeau haïtien sur Facebook ou Instagram ou de tatouer l’emblème national sur son corps comme beaucoup le font pour se dire patriote? 

Moi, je pense que l’amour et la fierté pour Haïti vont au delà de tout cela, car aimer son pays c’est avant tout le porter en tout temps dans son cœur en chérissant sa culture, son histoire, le vodou, le folklore etc… mais aussi notre langue maternelle et officielle, le créole. Le fait d’utiliser l’adjectif « officiel » pour qualifier cette langue me fait rire… Comment peut-on prétendre que le créole est une langue officielle s’il est encore interdit à l’école où, en théorie, on devrait nous apprendre à le maîtriser? Comment cette langue peut-elle être qualifiée d’officielle si les familles « aisées » ou « éduquées » interdisent systématiquement à leurs enfants de s’exprimer en créole? Comment peut-il être considéré comme une langue officielle quand, pour plusieurs, il est encore un poids lourd sur leur langue? Cette contradiction est absurde!

Combien de fois sommes-nous tombés sur des gens qui assassinent la langue de Molière pour parler à leurs enfants, aux étrangers ou en public dans le but premier de réaffirmer leur « supériorité»? « On ne s’exprime pas en créole comme le commun des motels mais plutôt en français ». Cette langue est tellement mal vue et tellement méprisée que beaucoup sont prêts à inventer toutes sortes de termes pour éviter d’avoir à utiliser le vocabulaire créole approprié. Permettez-moi d’illustrer mon point de vue. Bornés, prudes et amateurs de contenance, je vous prierais de bien vouloir excuser ma « vulgarité »! Quand il s’agit de traduire du français au créole le mot pénis, toutes sortes de chemins de traverse et de termes les uns les plus farfelus que les autres sont empruntés pour ne pas faire usage du mot approprié, « zozo », considéré comme terre-à-terre. « Kok », « gigit », « koulout », « pijon », « zouti », « pichpich », « manch » en sont quelques uns que j’ai personnellement déjà entendus. Comment peut-on avoir honte d’employer le terme adéquat quand on a le courage d’utiliser des boutades complètement absurdes et ridicules pour désigner la partie génitale de l’homme? Ceci n’est qu’un exemple parmi tant d’autres car nombreux sont les mots qui sont systématiquement exclus du vocabulaire créole et remplacés par du n’importe quoi sous prétexte qu’ils renvoient une image triviale de cette langue. Cet exemple suffit également pour illustrer l’ignorance et le complexe des haïtiens vis‑à‑vis leur langue maternelle.

Je ne pointerai pas du doigt ma génération car cette « créolophobie » ne date pas d’hier… Nous sommes nés et nous avons grandi dans cet environnement d’autodestruction et d’annihilation. Mais aujourd’hui, mes chers compatriotes, il est temps que vous reconnaissiez que le créole est une langue qui mérite, au même titre que le français, l’anglais, l’espagnol ou n’importe quelle autre langue, d’être respectée et d’être utilisée comme il se doit. Si nous souhaitons accepter et valoriser nos origines, il n’y a pas d’autres moyens que de nous libérer de nos préjugés et de nous affranchir des complexes que nous nourrissons par rapport au créole. Combien d’américains ont honte de s’exprimer dans la langue de Shakespeare? Combien de chinois n’osent pas communiquer en mandarin? Combien de québécois se gênent pour s’exprimer en jouale? Alors pourquoi mépriser notre cher créole? Une langue n’est pas un bijou que l’on range dans un coffret pour ne le ressortir que lorsqu’on en a besoin. C’est avant tout une marque de fabrique, un symbole identitaire. Considérons donc la nôtre comme une langue à part entière, accordons-lui le respect qu’elle mérite et osons la mettre en évidence. Kréyol se kinan nou, an nou pale li!   

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Arielle Bien-Aimé

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