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Le citron et l’orange d’Haïti risquent de disparaître totalement

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Depuis 2013, les agrumes d’Haïti sont affectés par la bactérie du Huanglongbing, communément appelé Greening ou le Dragon Jaune. Les paysans et le ministère de l’Agronomie, des Ressources Naturelles et du Développement Rural (MARNDR) sont dépassés par la bactérie qui reste incurable jusqu‘à présent.  

 

Hérode Domerçant, un cultivateur de Bossier est dégouté. Les efforts de ce paysan sont vains face à la disparition des agrumes dans la 4ème section Bellevue la Montagne. Ses arbres sont attaqués par des légions d’insectes. Leurs feuilles jaunissent, leurs fruits deviennent amers jusqu’à ce que leurs troncs se dessèchent lentement. « J’ai déjà essayé plusieurs insecticides, mais rien n’ a marché »  se désespère-t-il en avouant qu’aucun cultivateur de la région n’a pu conserver en santé un seul des orangers très répandu dans la zone.

« Les autorités restent indifférentes. Seuls les paysans semblent s’inquiéter par le problème » fustige Hérode qui pense que l’Etat devrait mettre à disposition des experts pour aider les paysans à résoudre le problème. Il reste cependant pessimiste quant à l’évolution de la situation et pense que tous les agrumes disparaitront si ces conditions persistent.

Hérode Domerçant, Cultivateur et Producteur d’orange

En mars 2016, les habitants de la Vallée de Jacmel, où se trouve une grande concentration d’agrumes en Haïti, ont aussi alerté les autorités concernant la disparition croissante des agrumes. Quelques mois plus tard, le ministère de l’Agronomie, des Ressources Naturelles et du Développement Rural (MARNDR) avait officiellement annoncé la présence du Huanglongbing ou Greening en Haïti.

Cette maladie bactérienne a été découverte pour la première fois en Chine en 1929 puis retrouvée en Afrique du Sud en 1943 où elle est très répandue. La bactérie est transmise par deux espèces d’insectes : le psylle asiatique et le psylle africain. Mais en 2004, une espèce plus virulente a été découverte au Brésil. La bactérie présente en Haïti est le psylle africain. Elle a été premièrement remarquée en République Dominicaine fait savoir l’agronome Lucson Innocent, qui n’écarte pas l’existence de la bactérie brésilienne également. Tous les agrumes de la Caraïbe sont déjà infectés par le Greening.

Les autorités étatiques complètement désarmés

En Haïti, les autorités du MARNDR ont avoué leur impuissance et sollicité le concours de la population pour faire face au phénomène. « Actuellement, ils essaient de repeupler les espèces afin de les sauvegarder », explique M. Innocent qui estime la méthode insuffisante. La méthode utilisée par le MARNDR accroit également le nombre de vecteurs en même temps que les plantules poursuit-il. Parmi les autres moyens disponibles Lucson Innocent suggère d’importer, à l’instar de la Guadeloupe, des insectes prédateurs. Il repousse l’idée d’une solution biotechnique qui, selon lui, transformerait la saveur de nos citrus et porterait préjudice à la santé des consommateurs.

En 2014, les vergers de la Floride, aux Etats-Unis, évaluaient la perte du citrus à $ 9 milliards si les scientifiques ne trouvaient aucune solution dans les prochaines décennies. Au cours du mois de février de la même année, un groupe de 500 scientifiques issus de 20 pays se sont réunis lors d’une conférence à Orlando pour débattre autour de la problématique. Une somme de 80 millions de dollars a été attribuée aux travaux de recherche sur la maladie, mais aucune solution n’a été apportée contre la maladie du Dragon Jaune jusqu’à présent.

Les répercussions se font déjà sentir sur le marché local. Actuellement, il faut payer au moins cent gourdes pour avoir quatre citrons importés. En 2015, la production de citrus d’Haïti s’évaluait à 59 milles tonnes. Une valeur importante que Lucson Innocent n’aimerait pas perdre. Le MARNDR doit redoubler d’efforts s’il espère vraiment sauver les agrumes poursuit, le spécialiste qui plaide pour une meilleure campagne de vulgarisation du problème auprès des paysans.

Des pistes de solutions controversée?

Gaël Pressoir, généticien, évoque les limites des méthodes traditionnelles face au fléau du Greening. Pour lui, la biotechnique est peut-être l’une des seules méthodes capable d’éradiquer la bactérie du Dragon jaune en Haïti. Il est possibe que le croisement par la méthode traditionnelle permette de retrouver une espèce résistante, mais pour lui, les résultats de ces croisements sont peu probables. Et, en plus il y a aussi des risques d’obtenir de nouvelles variétés non-comestibles.

Le généticien, Gaël Pressoir

Selon Gaël Pressoir, on pourrait adopter une méthode biotechnique à travers des Organismes Génétiquement Modifiés (OGM). Le professeur vote pour la deuxième solution, mais il admet que le sujet est encore tabou en Haïti. Les résultats de la méthode génèreront absolument d’autres variétés de citrus auxquelles les consommateurs pourront s’habituer.

Gaël Pressoir craint une réticence des décideurs à appliquer la solution des OGM sous prétexte de vouloir conserver nos variétés d’agrumes atypiques et auxquelles la population haïtienne est habituée. « De toute façon, il nous faudra choisir car nos espèces ne pourront pas résister au Greening, et nos variétés disparaitront surement » affirme M. Pressoir. Cependant, le généticien rappelle les conséquences économiques que peuvent avoir notre inaction : « Le café qui rapportait au moins 100 millions de dollars à l’économie a disparu à cause de notre refus d’adopter les méthodes disponibles pour combattre la maladie qui s’est abattue sur les plantations ».

Il faut noter que le débat sur la solution OGM est aussi de mise dans d’autres pays qui affronte le Greening. En Floride, les vergers refusent toute solution biotechnique à cause des possibles conséquences des OGM sur la vie des consommateurs, a rapporté le Miami Herald. Les produits OGM subissent aussi un déficit de confiance de la part des consommateurs qui provoque automatiquement un un effet négatif sur leur prix.

 

Haïti importe déjà une grande partie de sa consommation de citrus de la République Dominicaine qui est également affectée par le Greening. Nos voisins ont limité la progression de la bactérie avec une stratégie de confinement selon l’Agronome Lucson Innocent.  Une disparition des agrumes devrait changer également les habitudes culinaires haïtiennes. Les agrumes sont très utilisés dans l’assaisonnement et dans notre alimentation en général. Si les autorités n’investissent pas, comme tant d’autres pays voisins, dans la recherche scientifique Haïti risque de perdre ses agrumes.

Hadson Albert

Journaliste et communicateur

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