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La vieille dame…

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J’appliquais du rouge sur mes lèvres lorsque je me rendis compte des rides qui habitaient mon visage. J’ai tout de suite compris que les années avaient filé et que j’étais de plus en plus proche de la soixantaine… Devant mon miroir, je regardais droit dans les yeux cette femme lâche qui avait toujours satisfait le désir des autres mais, jamais les siens. Celle qui avait toujours eu peur d’agir à sa guise. Je la regardais avec pitié, elle me ressemblait tellement que tout de suite, la tristesse m’envahit. Je m’assieds doucement sur ce lit que je n’ai jamais eu la chance de partager avec quelqu’un. J’admirais, contemplais mon corps, mes seins que certains avaient rêvé de caresser, mes fesses miraculeuses qu’un don Juan aurait agréablement pris dans ses fortes mains.

J’étais en colère contre moi-même et j’éprouvais un profond regret.

Je repensais à ma vie qui n’avait pas été vécue. Je réalisais au fil de mes reflexions à quel point, j’avais été idiote. J’ai laissé mon beau-frère prendre le contrôle de ma vie. Oui, j’ai laissé mon destin à un salaud qui n’avait même pas su prendre ses responsabilités de père de famille. Je ne sais pas pourquoi mais j’ai accordé tant d’importance à ses crises de jalousie. Aujourd’hui, à la fin de mes jours, il ne reste que moi et les misérables dollars de ma pension. Pour une fois, je pouvais sentir le vide énorme qui se trouvait au fond de moi. L’échec de mon fils adoptif que je n’avouerai jamais, le toit que je suis dans l’obligation de partager avec mon ennemi acharné, celui que je n’ose plus appeler « beau-frère » après tout le mal qu’il a fait à moi et à ma soeur. Par amour, je me suis fait emprisonner, j’avais juré de ne pas la laisser seule dans la gueule du loup. C’est mon devoir de prendre soin d’elle, j’ai toujous pris soin d’elle, ma chère soeur avec qui j’ai passé la majeure partie de mon existence. Après tout, j’avais été trop lâche pour m’aventurer et goûter aux plaisirs de la vie. Tant de sites inexplorés faisaient de moi une frustrée, une hypocrite mais en dépit de tout, la bonne petite dame en moi refaisait toujours surface.

Mon sourire et ma bonne volonté d’aider les autres étaient après tout ce qui donnait un peu de sens à ma vie.

Des femmes enceintes, j’en ai vu durant mon existence… J’avais même acquis les notions de base pour être femme-sage tant j’ai assisté des femmes bénies des cieux à donner vie. Mais moi, je n’ai pas su ce que c’est d’enfanter dans la douleur, et dans la joie de sa chair. Mes seuls enfants ont été mes neveux et nièces, ils me voient comme une seconde mère. S’il n’en tenait qu’à eux, je serais une femme heureuse.

Tout le long de ces longues année de sécheresse sentimentale, il ne me restait que moi, mon corps et mes doigts. Oh masturbation! Je ne peux compter combien de fois, je suis devenue agressive à cause de mon corps assoiffé de caresses et parfois juste de simple contact physique. J’ai tant rêvé du plaisir sexuel, d’une bonne partie de jambes en l’air, et parfois d’un simple souffle d’homme à mes côtés la nuit.

Personne ne peut imaginer les nombreuses nuits que j’ai passé à rêver les yeux grands ouverts. J’ai désiré toute ma vie avoir un corps serré contre le mien. Je voulais qu’un homme me caresse, me suce et me pénètre. J’ai passé ma vie à dormir seule sans une personne pour me couvrir de tendres baisers, me prendre fort dans ses bras et me dire qu’il m’aimait. Cette partie de moi mourait, ma vie sentimentale n’existait pas. J’ai besoin d’un homme et je me suis rendue compte que j’avais été trop prude, trop lâche, je n’ai pas pris les décisions qui auraient pu me plaire. J’avais choisi malgré moi une vie de célibataire qui m’avait coûté cher. J’avais laissé trop de portes grandes ouvertes dans ma vie. J’ai laissé les autres décider à ma place.

J’ai la drôle impression d’avoir  été une fillette toute ma vie. Au fond de moi, sommeillait une femme saturée d’envies et de désirs. Mais tout le monde voyait cette vieille dame, oubliant qu’elle avait aussi du sang coulant dans ses veines. Qu’elle avait des fantasmes fermés dans l’armoire de la vie. Oui, celle que je regarde là maintenant, elle a eu des sensations, elle a toujours ressenti le besoin d’une vie sexuelle active, a rêvé à des enfants qui aurait habité ses entrailles pendant des mois. J’aurais appris à les connaitre mieux que moi-même. Je les soignerais avec tant d’affection quand ils seraient malades… comme je l’ai fait pour tant d’inconnus.

Les remords me montant à la gorge, je m’allonge doucement pour essuyer mes larmes et respirer un peu. C’est alors que j’entends sonner les cloches de l’église, je me rappelle alors de la messe d’action de grâces en l’honneur de Notre-Dame de Fatima à laquelle je devais me rendre. Mais cet après-midi, je suis désolée, je veux un peu oser. Mes pulsions ce soir casseront les barrières que la société avec ma complicité avions montées. Je veux faire ce que je ne me suis jamais permise même de penser. Après tout, où est le mal? Je vais retrouver un ami de vieille date chez lui, un gentilhomme qui me fait la cour depuis ma tendre jeunesse, à l’époque où l’on pouvait encore lire l’espoir dans mes yeux.

J’aime le tout-puissant et je lui suis dévouée. Mais je ne veux pas retourner à lui comme il m’a envoyé sur terre. Il m’aurait renvoyée pour cette mission inachevée. Pour une fois, je vais oser, je vais finalement savourer le baiser noir, car je suis trop fatiguée de rêver. Il était cinq heures de l’après-midi lorsque je constatai que notre rendez-vous était dans moins d’une heure. Je ne devais surtout pas manquer ça. Je suis une retardataire patentée mais aujourd’hui, toutes les secondes seront comptées… Comme un enfant enthousiaste à recevoir le corps du Christ, je me sentais ainsi à l’égard du fruit défendu.

La soirée serait mienne, je ne ressentais plus aucune peur. J’étais prête à tout cette fois, mais que je le veuille ou non, cette culotte mouillée que je dois changer me mettra assurément en retard de quelques minutes.

 

Isis Kishar Lubin

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