EN UNESOCIÉTÉ

La photo pour voir l’invisible…

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« Pour moi, la photographie est la conscience simultanée, en une fraction de seconde, de l’importance d’un événement ainsi qu’une organisation précise des formes qui donne à cet événement son expression adéquate. Le photographe ne peut pas être un spectateur passif, il ne peut être réellement lucide s’il n’est pas impliqué dans l’événement. Photographier, c’est placer la tête, l’œil et le cœur dans un même axe». Henry Cartier-Bresson

Quand il s’agit de capturer l’essence même de l’information qu’il faut transmettre au lieu de l’esthétique qui viserait à plaire uniquement, cela donne le photojournalisme. Et c’est le mandat même que veut se donner la nouvelle revue biannuelle Fotopaklè créée par un collectif de jeunes photographes, journalistes et graphistes. Le Kolektif 2D se veut innovant dans le paysage médiatique haïtien.

Dans un contexte aussi ambigu qu’est celui d’Haïti avec ses crises politiques, économiques et sociales constantes, au moment où beaucoup se questionnent sur le mandat public de la fonction même de journaliste, de l’impartialité et de l’angle abordé, ce groupe de jeunes orientent leur lens vers cette vague assez récente qu’est la combinaison de la photo et de l’information.

K2D : un concept innovateur

Le concept du Kolektif 2D trouve son élaboration au travers du regroupement de 16 jeunes photographes reporters haïtiens. Officiellement créé en Octobre 2014, cette plateforme voit le jour suite à des participations successives de ces deniers aux ateliers photographiques organisés par la Fondation Connaissance et Liberté (FOKAL). Leur vision s’inspire des grandes agences photographiques européennes et américaines telles que Magnum, Vu, Noor et Prime qui sont des leaders dans le secteur de la photographie. Leur but est simple: être redevable et responsable des données transmises via leurs images devant les citoyens de ce monde. Pour cela, il faut zoomer sur les réalités que vivent quotidiennement le peuple ici ou ailleurs… Le « kolektif », c’est aussi la voie vers la normalisation d’un métier sans voix en Haiti, souvent relégué dans les fonds de tiroir, banalisé, sans relève technique dans un contexte de non-respect du travail.

Et aujourd’hui, cela donne Frontières….

Etre photojournaliste, c’est un engagement social qui se traduit par l’amour de l’être humain, une redevance envers la communauté et cela doit tenir en une image qui reflète des informations précises, honnêtes situées dans leur contexte sans demi-mesure. Et c’est ce qui se traduit à travers les pages du numéro inaugural de la revue Fotopaklè, titrée Frontière(s). Celle-ci retrace le parcours des Haïtiens et Haïtiennes, victimes de la crise migratoire en République Dominicaine… une crise accentuée par les violences morales et psychologiques. Jusqu’à date, il s’agit d’environ 177,304 personnes ayant traversé pour revenir en Haïti dont presque 30,000 ont déclaré avoir été déportés officieusement. En feuilletant ces pages, ce qui revient en tête, c’est également le rappel de l’exode forcé de ces Haïtiens qui sont obligés de quitter leur terre natale dans l’espoir chimérique d’un lendemain meilleur. C’est un recueil en images d’histoires poignantes qui nous rappelle que la vraie Haïti demeure en retrait dans l’attente d’un regard. Car ces visages capturés au travers de l’objectif, après tout, auraient pu être les nôtres, ceux des membres de notre famille, ou ceux de personnes que nous côtoyons.

Pour mieux relater, pour mieux capturer, le collectif a décidé entre autres, d’accentuer son zoom sur le Sud-Est, plus précisément vers Anse-à-Pitres, une des zones les plus reculées d’Haïti où la misère sévissait déjà bien avant la crise migratoire.  Anse-à-Pitres est aussi le seul point frontalier sur lequel les déportations de 2015 ont créé des camps d’abris provisoires. Au gré des pages, on rencontre des âmes qui font vibrer nos cœurs à la lecture de leurs histoires. Au de-là de l’injustice de l’action dominicaine, ces images font aussi ressortir l’injustice de l’inaction de de l’Etat haïtien face à cette précarité imposée à nos sœurs et frères. A travers ces image nous reconnaissons nos coutumes, nos mœurs, nos aspirations, notre désespoir et mêmes nos joies. La photographie a cette capacité de rendre l’humanité à ceux en situation inhumaine.

Cà et là, des images de faits oubliés qui pourtant devraient être des priorités, nous relancent. C’est le cas de Fond Bayard qui depuis 1994 accueillent des rapatriés dans la zone de Malpasse. Subtilement, des images de pièces officielles comme un passeport, une carte d’identité, nous font repenser à l’inexistence d’une politique migratoire et d’un programme d’identification. Des images de produits importés nous interpellent sur les déséquilibres commerciaux qui entravent le marché haïtien. Plus que tout, ces images nous rappellent cruellement le manque de structuration qui aura perduré tout au long de notre histoire.

Un concept novateur mais pas une première….

Si Frontière(s) est une nouvelle étape dans les objectifs du Kolektif 2 Dimansyon (K2D), ces photographes n’en sont pas à leur premier essai. En 2014, ils capturaient les grands axes de la « Grand Rue » à travers leurs appareils. Pour les amants de la photographie, les curieux de l’art et ceux qui seraient intéressés à rencontrer les visages derrière ce concept, le Centre d’Art ouvrira ses portes pour recevoir le lancement officiel de ce travail artistique et une vente de cette revue inaugurale, ce jeudi 23 mars 2017, à la rue Roy, entre cinq heures trente et huit heures.

Et comme disait Milan Kundera, la mémoire ne garde pas de film, elle garde les photographies. C’est sûr et certain que ce samedi, la photographie sera au rendez-vous.

Meg Jean

Crédit photo: Valérie Baeriswyl

 

 

I am just a girl in love with coffee crossing life with her ups and downs. I prefer to let people have their own idea about who I am. I am also a humanitarian worker and I love to discover new culture and new people. I want my writing to touch people and make an impact in their life.

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