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La faute du « BLANC »

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A nous entendre, aucune nation à part la nôtre n’a jamais été assujettie à l’esclavage, au pillage, aux tortures de l’esprit et du corps. Aucun autre peuple n’a été mutilé dans son identité, dérobé de sa terre et de sa fierté. Je ne sais pas ce qui est pire: nous complaire dans un passé douloureux pour expier nos péchés ou devenir des spectateurs isolés de l’épanouissement de nos frères, rescapés de la même traite des noirs? Les autres demeurent les éternels responsables de notre laideur et de la haine qui nous consume. De cette haine que nous dissimulons sous des masques de patriotisme,  à chaque fois qu’un haïtien cesse de l’être en territoire étranger afin d’accomplir des rêves que nous aurions sans doute anéantis sous le poids de nos talons! Nous brandissons cet haïtien dont l’origine remonte à plus de trois générations aussi haut que notre drapeau pour revendiquer son appartenance, nous donner bonne conscience, et nous concéder une certaine valeur aux yeux du monde. Usurpateurs d’accomplissement, nous nous mentons à nous-mêmes, comme ce jour où nous avons confondu l’anarchie à la liberté.

Il parait que les «Blancs» en veulent à cette première République Noire, à cause de son arrogance et de son impertinence pour avoir osé se débarrasser avec autant de fracas du joug de l’ennemi? Il parait aussi qu’ils nous gardent rancune pour avoir soulevé un vent de folie chez les asservis, chuchoté à leurs oreilles qu’ils pouvaient eux aussi semer la pagaille et renverser l’ordre social? J’ajouterais que leur mépris a pris le dessus lorsqu’ils ont découvert que notre émancipation nous avait coûté encore plus cher, que nous les avions chassés pour dégager un champ de bataille plus adapté au suicide collectif, et que notre orgueil national n’a servi qu’à mieux camoufler notre avidité pour le butin personnel.

Il est sans doute moins douloureux de s’abattre sur un bouc émissaire, que de reconnaitre ses fautes. Cela reviendrait à prendre ses responsabilités pour tout réparer sans s’attendre à ce que les autres nous chantent une berceuse. Haïti s’enlise dans des litanies sentimentales, pleurnichant les abus de ses anciens amants, exaltant avec nostalgie et véhémence une certaine victoire de l’indépendance.  Néanmoins, nous envions la sécurité alimentaire, l’assurance santé, l’éducation accessibles au-delà des frontières, car nous sommes à des années lumières du développement humain. Nous nous questionnons sur la véritable utilité d’une réputation de première République Noire parce que, jusqu’à ce que nos besoins physiologiques et de sécurité  soient satisfaits, notre sentiment d’appartenance à Haïti restera dans le domaine de l’illusion et du superficiel. Dans ces moments-là, les héros de l’indépendance sont aussi insipides que nos pages jaunies d’histoire d’Haïti. La notion de «pays» et de «nationalité» perdent de leur essence chez nous, parce que nos aspirations humaines sont bafouées et nous partons chez ce «Blanc» responsable de notre malheur pour la réalisation du peu de soi qu’il nous reste.

Après tout, ce que nous voulons c’est vivre…rien de plus. Dans un reportage qui remonte à plus de dix ans, le chanteur et ex-président Michel Martelly avait tenté de se faire comprendre lorsque d’un ton désabusé, il s’était déclaré Italien. Patriote dépatriotisé, profitant de sa jeunesse aux Etats-Unis, il avait exprimé sans inhibition ce que nous ruminons au fond du gouffre: comment consentir à laisser passer sa jeunesse pour attendre qu’Haïti se remette sur pied? «On ne vit qu’une fois», furent ses mots exacts.

Ceux qui restent en arrière prétendent aimer leur patrie et prennent la liberté de faire des reproches à ceux qui ont fui, soit par audace, soit par possibilité. D’un œil veillatif, ils guettent toutes les occasions pour changer le destin de leur progéniture ou le leur s’ils ont encore le temps et le courage d’affronter la peur de l’inconnu. D’autres vocifèrent dans les antennes de radio que les «Blancs» sont responsables, mais de quoi? De l’éducation de leurs enfants dans leurs plus prestigieuses universités, de la chimiothérapie réussie de leurs mères et de leurs femmes, de l’argent de leur retraite et des avantages sociaux?

C’est aussi  la faute du «Blanc»,  le nombre élévé de jeunes gens Haïtiens en attente d’un dossier, d’un mariage, d’un coup de génie pour devenir eux aussi des diasporas?

Et si le premier pas vers le développement consistait à jeter les masques pour dénoncer ce que nous sommes en réalité? Et si nous nous portions garants de nos fautes et de nos mesquineries? Et si pour une fois nous reconnaissions que nous sommes des égoïstes assoiffés de pouvoir et en quête de validation? Qu’arriverait-il si nous nous mettions à nus, arrêtions de prétendre, arrêtions d’accuser, arrêtions l’indulgence envers nous-mêmes? Et finalement, qu’arriverait-il si nous nous fichions que le «Blanc»nous aime ou pas?

Après tout, l’important n’est-il pas de nous aimer nous-mêmes?

Je suis passionnée de lecture, de cinéma et d’histoire mais l’écriture demeure ma seconde nature. Ma plume me propulse au-delà des frontières de ce monde. Avec elle, la liberté est à portée de main

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