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La dialyse ou la mort: l’histoire d’une jeune Haïtienne de 28 ans

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Depuis des années, l’unité de dialyse de l’Hôpital de l’Université d’Etat d’Haïti (HUEH) préoccupe la société haïtienne en général, et les couches pauvres en particulier. Le manque de matériels et de services de cette unité a souvent été sous les feux des projecteurs

Cependant pour les patients, utilisateurs des services de dialyse, le manque de matériels n’est pas la cause unique de leurs préoccupations. Les grèves récurrentes au sein de l’HUEH, le manque de personnel qualifié, la gestion calamiteuse de l’Hôpital sont des facteurs déterminants à leur survie.

Ayibopost a visité cette salle de dialyse en juin 2017 dans le cadre d’un travail sur les jeunes médecins de l’HUEH.

L’atmosphère sombre de l’espace n’est pas due qu’à la très faible aération du milieu ; les visages fatigués des patients et de leurs proches ne projetaient aussi que très peu de lumière. Ils avaient dû faire la ligne toute la matinée pour se retrouver attachés par les veines à une machine dont leur vie dépend. Loin d’être la meilleure des journées d’une vie !

Entre le fourmillement des infirmières, bruit des machines, et la lassitude des patients, scintillait le sourire anormal d’une jeune femme. A première vue, on aurait pensé qu’elle faisait partie du staff de l’hôpital tant elle était à l’aise dans l’unité. Elle discutait avec les infirmières, parlait aux patients, les aidait et les accompagnait comme elle le pouvait. Une jeune femme probablement dans sa vingtaine occupant un poste administratif au sein de l’unité, pensait-on.

A notre grand étonnement, Manianita Pierrevil est une patiente comme les autres. Une patiente qui depuis huit heures du matin attendait qu’elle ait finalement la chance de bénéficier de sa séance de dialyse. Le visage visiblement enflé de Manianita disparaissait presque derrière son sourire contagieux. On avait du mal à croire qu’elle allait entamer sa fatigante séance de dialyse.

Cela fait maintenant 6 ans que Manianita fait deux séances de dialyse par semaine. Elle souffre d’insuffisance rénale chronique. Donc elle devra passer le reste de sa vie à suivre ce traitement à moins qu’elle ne bénéficie d’une transplantation rénale. Cependant, en Haïti, nous avons eu très peu d’interventions de greffe rénale réussies. Malgré certaines études qui font état de 15,000 à 30,000 haïtiens touchés par l’insuffisance rénale, très peu de transplantations rénales ont été réalisées en Haïti. La première greffe réalisée avec succès sur le sol haïtien a été entreprise en 2009.

Les chances de bénéficier d’une greffe rénale demeure extrêmement faibles en Haïti. Au delà des contraintes financières qui limitent l’accès à une telle intervention chirurgicale, il y a aussi une probabilité minime de trouver des donneurs d’organes compatibles. Manianita envisage très peu cette possibilité. Elle s’est habituée au train de vie que lui impose sa maladie, prend ses précautions et s’assure de faire ses deux séances de dialyse hebdomadaire.

Le poids financier de sa maladie pèse très lourd sur elle. Sans l’aide de sa famille elle serait déjà morte, nous confie-t-elle. A l’HUEH, elle paie 2000 gourdes par séance, 2 fois par semaine, mais à ces dépenses s’ajoute l’achat de produits médicaux de base que l’hôpital ne fournit pas tel que les seringues, intrants, pansements, etc. Par séance, si le coût du déplacement est inclus, le montant peut s’élever aux environs de 6000 gourdes, soit 12,000 gourdes par semaine. Malgré les nombreux dysfonctionnements de l’unité de dialyse de l’HUEH, Manianita ne peut même pas se permettre de penser à effectuer sa dialyse dans une clinique privée où le prix d’une séance peut s’élever jusqu’á US$250. « A ce prix, je serais déjà morte » plaisante-t-elle.

Trop peu de matériel pour trop de patients

Depuis plus d’un mois, Manianita dit remarquer une soudaine augmentation du nombre de patients ayant besoin des services de dialyse. Et parallèlement, un des sept appareils de l’unité est dysfonctionnel. La capacité d’accueil de l’unité de dialyse est réduite alors que la demande augmente.

Le 3 mars dernier le président Jovenel Moïse avait fait don d’une génératrice à l’unité. Le président s’était dit satisfait des avancées de l’unité de dialyse. Quelques mois après, le problème semble persister, l’HUEH n’a pas assez de dialyseurs pour satisfaire le besoin des nombreux patients dont les vies dépendent de ce service à prix « abordable ».

Pour recevoir des soins, Manianita nous raconte qu’elle doit attendre beaucoup plus longtemps ces jours-ci. Et, depuis quelques semaines la grève des médecins résidents a aggravé la situation.

Manianita et la récente grève de l’HUEH

Le service de dialyse de l’HUEH, est le seul qu’elle puisse se payer chaque semaine. Malgré la grève des médecins résidents de l’HUEH, le service de dialyse continue à fonctionner. Les infirmières sont présentes et accompagnent les malades du mieux qu’elles peuvent, mais il y a moins de médecins disponibles.

Le lundi 17 juillet, Manianita comme elle le fait chaque semaine s’est rendue à l’hôpital pour sa séance de dialyse. Tout semblait aller bien jusqu’à ce qu’elle ait une soudaine montée de sa tension artérielle. Les infirmières ne pouvaient pas l’aider et aucun médecin n’était disponible pour la soigner. Manianita a cru avoir une crise cardiaque, et pendant quelques heures elle n’arrivait pas à parler. Pas un mot. Elle a dû se rendre en urgence à l’Hôpital Petit Frères et Sœur à Tabarre pour se soigner. « Je pensais que j’allais mourir » nous a confié Manianita.

Malgré cet épisode effrayant, Manianita analyse la situation à tête reposée. Elle dit espérer que l’Etat ajoutera le matériel et le personnel adéquats pour la bonne marche de l’unité de dialyse. Sans rentrer dans les détails de la grève des médecins qu’elle dit ne pas maitriser, Manianita comprend la frustration des jeunes médecins. Selon elle, ces médecins font un bon travail avec le peu de moyen qu’ils ont à leur disposition. Elle ne fait qu’espérer que l’Etat prendra en compte leurs revendications pour que les médecins grévistes recommencent à travailler dans les plus brefs délais.

La vie de Manianita et celles de centaines de malades dépendent du service de dialyse de l’HUEH, le moindre dysfonctionnement au sein de l’unité peut déterminer s’ils continueront à vivre.

NB : L’entrevue avec Manianita a été filmée le 20 juin 2017.

La rédaction de Ayibopost

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