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La dangereuse communion entre l’Etat haïtien et l’Eglise

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« L’Etat n’est point fait pour la religion, mais la religion est faite pour l’Etat » L’abbé Raynal

La mairie de Tabarre et quelques églises évangéliques ont organisé une croisade évangélique entre le 15 et le 17 décembre 2017 sous le thème : Taba leve kanpe. La foule rassemblée sur la place Hugo Chavez avait comme objectif de se débarrasser des vieux démons et de rompre les liens fantasmagoriques qui retiennent le développement de la zone à coup de formules incantatoires. Nice Simon, mairesse de Tabarre, et son cartel semblent finalement accepter leur incompétence et  leur incapacité de gestion en invoquant le secours du divin pour combattre l’insalubrité et les autres défis de la commune. Dorénavant, les clés de la ville de Tabarre sont entre les mains de Jésus.

Le président Jovenel Moïse dès son investiture a sollicité la prière des églises afin d’orienter ses choix vers la sagesse durant son quinquennat. Avant lui, en 2011,  le président Martelly avait demandé sept jours de prière pour : « le pays, pour les leaders et pour les dirigeants des trois pouvoirs afin qu’ils puissent travailler ensemble ».

Cependant, l’intégration des croyances religieuses dans les affaires de l’Etat ne se réduit pas à quelques requêtes de prières et de bonnes grâces, elle est aussi institutionnelle. Les traditionnels Te Deum à l’occasion des investitures des nouveaux présidents et pour la commémoration de l’indépendance le 1er janvier prouvent que les Chefs d’Etat et gouvernements qui se sont succédé n’ont pas l’intention de rompre la cohabitation de la religion et de l’Etat en Haïti. Le mur de séparation semble par moment inexistant.

La religion, l’opium du peuple 

Depuis la fondation de la nation, les généraux se sont entendus pour donner une place aux religions existantes, en l’occurrence le christianisme majoritairement représenté par l’Eglise catholique et le vodou. Si la première Constitution de la nation (1805) ne reconnait à l’époque aucune religion dominante, elle n’a pas su  résister toutefois aux forces contraignantes qui voulaient hisser le catholicisme sur le parvis. Un an plus tard, une Charte (1806) proclame : « La religion catholique, apostolique et romaine étant celle de tous les Haïtiens, est la religion d’Etat. Elle sera spécialement protégée ainsi que ses ministres. »

Six autres Constitutions (1807, 1811, 1846, 1867, 1935, 1950) graciaient l’Eglise Catholique aux dépens du vodou. L’Europe latine, entre-temps, s’ingéniait à destituer l’Eglise Catholique de son piédestal, et donc, à esquisser une société plus penchée vers la laïcité. «Nous voulons conserver la religion catholique […] à condition que l’Eglise soit dans l’Etat […] clame Armand-Gaston Camus à la tribune de la Convention Nationale.

Mais en Haïti, le gouvernement de Fabre Nicolas Geffrard signe en 1860 le Concordat lancé par Boyer qui revigore le pouvoir de l’Eglise. Le pacte encore en vigueur a servi de recours au Saint-Siège pour assagir le président Michel Martelly qui trouvait injuste les privilèges accordés à l’Eglise. Les clergés ont sorti les articles I, III et XVI pour réclamer leurs prérogatives, comme les franchises douanières, que l’Etat promettait de respecter.

Du protestantisme…

Arrivées au 19ème siècle, les missions protestantes ont très bien compris l’intérêt de s’associer à la classe politique. Elles se sont peu à peu approprié les affections des politiciens tout en sachant éviter de se mettre au travers de leurs pratiques. Mieux vaut multiplier les jeûnes et autres services de prières que de dénoncer les problèmes de corruption qui appauvrissent les fidèles dont la majorité constitue la classe ouvrière. Les pasteurs qui prêchent contre l’injustice circonscrivent leur discours dans une généralité inoffensive. Ils se gardent, par exemple, de se prononcer sur la dilapidation des fonds Petro Caribe.

Pourtant lors des campagnes électorales, les candidats sont conviés à venir partager leur vision dans les assemblées. Des pasteurs forcent leurs ouailles à voter pour des candidats qu’ils prétendent être des envoyés de Dieu. Les deux dernières élections présidentielles nous ont offert quelques illustrations flagrantes avec la Shalom Tabernacle de Gloire, l’une des églises les plus populaires d’Haïti actuellement.

Le pasteur de cette église, André Muscadin, a refusé de recevoir Jovenel Moïse, candidat du Parti Haïtien Tèt Kale (PHTK) en 2015 à cause des promesses non tenues du président Martelly. En effet, en 2011, il avait prêté sa chaire au candidat Martelly qui avait promis à sa congrégation trois jours de prières nationales. Cinq ans plus tard, le 23 octobre 2015, il a publiquement porté ses fidèles vers Jude Célestin qu’il déclarait être déjà élu après une nuit d’incantation à la veille des élections. Sauf que cette fois-là, Dieu ne l’a pas entendu de cette oreille ! Jude Célestin n’avait pas pris le pouvoir.

Certaines dénominations du protestantisme prêchent un évangile discriminatoire à l’égard d’autres cultes. Selon elles, le sous-développement du pays n’est, non pas la mauvaise base de répartition de richesse qui existe entre les classes sociales, mais la conséquence du refus de croire au seul Dieu chrétien. En 1998, un groupe de pasteurs évangélistes ont lancé une campagne de profanation contre les objets sacrés de la cérémonie du Bois-Caïman qu’ils estiment être le mouvement initiateur de notre mal politique.

Ce mythe persiste encore en 2018. Le pasteur Grégory Toussaint, réputé pour ses diatribes contre les autres cultes a insinué, lors d’une croisade évangélique au stade Sylvio Cator, que le progrès d’Haïti est retenue par l’alliance des dieux évoqués au cours de la cérémonie du 14 aout 1791. Présent à cette activité, le président Jovenel Moise a lancé un peu plus tard que plusieurs de ses grandes décisions politiques sont les résultats de plusieurs heures de prière. L’augmentation des taxes et des produits pétroliers, le rejet du rapport Petro Caribe et le vote du dernier budget se trouvent sans doute parmi les grandes décisions de son Excellence.

De la séparation de l’Eglise et de l’Etat

Par laïcité on entend tout principe défendant la liberté de conscience et celle de manifester ses convictions dans les limites du respect de l’ordre public, la séparation des institutions publiques et des organisations religieuses, et l’égalité de tous devant la loi quelles que soient leurs croyances ou leurs convictions. Et Haïti, compte tenu de cette définition, n’a jamais manifesté une volonté d’être un Etat laïc. Un fait illustré par les composantes religieuses précitées.

La Constitution de 1987 sans mentionner le statut confessionnel de l’Etat admet que : « Toutes les religions sont libres. Toute personne a le droit de professer sa religion et son culte, pourvu que l’exercice de ce droit ne trouble pas l’ordre public». Constituant en 1986, l’historien Georges Michel décrit la relation entre l’Etat et la religion en Haïti comme une forme atténuée de laïcité .

Pour Dr. Michel, la forme de laïcité adoptée par la Constitution convient à la culture du pays : Nous avons une laïcité plus proche de celle souple que cultive les Etats-Unis que celle stricte de la France. Soulignons que la constitution  de 1986 n’a pas éliminé le Concordat de 1860 qu’Haïti avait signé avec l’église catholique qui maintient donc le lien privilégié de l’Eglise vis-à-vis de l’Etat.

Dans les faits, les lignes de séparation sont floues, et par moment l’Etat haïtien paraît être clairement d’obédience chrétienne. Les congés scrupuleusement observés par nos institutions pour des motifs religieux telles que l’Assomption ou la fête Dieu. Plus récemment, les croisades et les jours de prières supportés par l’Etat, dévoilent une forme d’injustice à l’égard des autres sectes et religions, notamment le vodou. Quels seraient les réactions si les pratiquants du vodou proposaient également d’invoquer leurs dieux en faveur de la nation à travers des croisades ? Ce modèle qui s’apparente à du favoritisme déchire encore plus les tissus sociaux au nom de divergences du symbolisme religieux. Une décantation des rôles serait pourtant favorable aux deux entités qui subissent une crise d’autorité depuis quelques années déjà.

Démocratie et religion ne peuvent faire bon ménage dans une société sensible à la modernité, au développement et qui veut, par-dessus tout, assurer les droits de tous ses citoyens. Après deux siècles, la France n’a pas réussi à épuiser le débat autour de la laïcité. Il faut toujours redéfinir une place à la religion pour qu’elle ne s’immisce pas dans le champ de l’administration publique. Nos dirigeants, qu’ils soient politiques ou religieux, tiennent à l’idée d’accoupler le temporel et le spirituel. Elle traduit, en tout cas, leur méconnaissance de l’évolution de la démocratie dans les sociétés modernes ou, peut-être, une manipulation délibérée de l’imaginaire collectif.

Hadson Albert

Journaliste et communicateur

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