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Journal d’un étudiant immigré

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Visage crispé, humeur absente, mine inquiète, Nelson Gabriel se rappelle comme si c’était hier, quand en classe terminale, il rêvait d’étudier dans un pays étranger. Déterminé, il ne fantasmait que sur cette idée. D’ailleurs, il n’est pas donné à tous le privilège d’étudier à l’étranger.

Octobre 2010, diplômes et certificats d’études en main, la tête pleine de projets, le natif des Gonaïves partit à la quête de son rêve : destination République Dominicaine.

Rêve de jeunesse, illusions migratoires, le voilà depuis déjà quatre longues années dans une pénible adaptation socioculturelle en territoire voisin. Comme plusieurs milliers de ses compatriotes, en laissant Haïti, l’ancien élève du lycée Fabre Geffrard croyait avoir fait le plus dur pour avoir accès à des études universitaires de qualité.  Néanmoins, c’était pourtant loin de la réalité qui l’attendait du coté est de l’Île, car ici, être étudiant haïtien à un prix.

Jeune, fougueux, studieux, Nelson est confronté à une réalité migratoire jamais envisagée auparavant. Stress acculturatif, discrimination… Aujourd’hui, le jeune étudiant erre dans ses pensées. Il doute même d’avoir fait le bon choix d’immigrer au pays voisin.

Son premier contact avec la terre dominicaine ne lui a pas laissé de bons souvenirs. La frontière de Dajabón à peine traversée, il se rappelle avoir été traité de « maldito haitiano » (maudit haïtien) par un gamin dominicain, à qui il avait refusait l’aumône.

Et depuis, entre ses études et ses occupations quotidiennes, le jeune de 25 ans a du faire face à toutes sortes d’obstacles, dignes d’un immigré inconfortable, de surcroit Haïtien en République dominicaine.

Nelson réside à Santiago, l’une des plus importantes provinces du pays, bastion des étudiants haïtiens. Il habite un appartement dans un modeste quartier de la ville. Pour certains colocataires dominicains, il est un « nanti ». Un fils de la bourgeoisie haïtienne. Sinon, comment un petit haïtien peut se permettre le luxe d’affermer un appartement de 10.000 pesos par mois? En effet, pour le Dominicain borné, l’Haïtien, c’est l’infatigable « animal » qui travaille dans les « batey », les « chantiers de construction, celui qui dans les rues, crie « caña de azucar » (canne à sucre), aguacate (avocat) à cinq pesos.

Celui qui est propre, capable de payer à temps la mensualité de ses études, menant une vie plus ou moins modeste,  n’est plus Haïtien. Ou s’il l’est, il vient de Port-au-Prince ou de Pétion Ville, ces villes « clichés » où habitent les riches en Haïti. Voilà la conception erronée que se font beaucoup de Dominicains de l’Haïtien. Bref, fermons cette parenthèse, revenons aux aventures de notre ami.

Le cercle d’amis de Sony, comme l’appellent ses proches, est très fermé. À l’université, malgré ses obstacles linguistiques, il s’est arrangé  pour être assidu à ses cours. À deux reprises, il a été reconnu comme l’un des meilleurs étudiants de la filière d’ingénierie industrielle.

Nelson parle l’anglais. Il a une formation en informatique. En dehors de ses activités académiques, il a essayé de trouver un boulot, question de répondre à certaines exigences. En effet, depuis quelque temps déjà, il comptait difficilement sur l’aide de ses parents résidant eux, en Haïti. Père licencié, mère maladive, les transferts d’argent n’étaient plus réguliers comme avant.

Toutes les démarches restèrent vaines, car le fils cadet de Cécilia et de Mercidieu Gabriel n’a pas de carte de résidence. Cette fameuse carte digitalisée que l’on exige aux Haïtiens dans la majorité des grandes entreprises du pays. Entre-temps, le futur ingénieur doit dorénavant faire face à une précarité économique.

Durant son séjour en terre étrangère, le jeune homme avoue avoir été victime de plusieurs actes de discrimination et de racisme. Des pratiques très chères à certains Dominicains envers l’Haïtien.

Récemment, se souvient-il avec cette exaspération : « J’ai été voir un médecin. Nous étions plusieurs Haïtiens dans la salle d’attente. Nous apercevant, une Dominicaine de la quarantaine s’est plainte du « trop » d’haïtiens dans les rues dominicaines. Une autre se plaît à raconter aux autres une ridicule histoire sur un Haïtien, à qui elle reproche son manque d’hygiène. L’une d’entre elles s’époumone: pourquoi quand ces Haïtiens sont malades, ne vont-ils pas en Haïti se faire soigner ?»

Un soir, poursuit-il, « En revenant de l’école, à quelques pas de mon appartement, j’ai été arbitrairement intercepté par une patrouille de police. Bien que je me sois identifié en tant qu’étudiant, j’ai été conduit à un centre de détention sans aucun motif valable. Pour ne pas y passer la nuit, j’ai dû payer 300 pesos». Notre interlocuteur fulmine en craquant ses doigts.

Par ailleurs, l’étudiant finissant n’a pas manqué de reprocher la passivité des représentants diplomatiques haïtiens dans certains dossiers surtout les nombreux déboires migratoires auxquels sont souvent confrontés les étudiants haïtiens.

Aujourd’hui, rempli de frustrations, à l’instar d’autres collègues, Nelson compte les jours jusqu’à sa graduation pour rentrer dans son pays. Pour l’instant, il n’a que ça en tête même s’il sait que la suite ne sera pas facile. Toutefois, on n’est nulle part aussi bien que chez soi, se rassure-t-il…

Osman Jérôme

Animateur de radio, travailleur de Santé Mentale, blogueur à MONDOBLOG-RFI, contributeur à AyiboPost.

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