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Je veux divorcer Linda

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Ce soir-là, je m’étais accoutré de ma cape de super héros afin d’affronter ce 14 février, calqué sur ceux des quinze dernières années. Quinze dernières années qui avaient défilé comme des uniformes du dimanche, ces derniers aussi horribles qu’époustouflants, mais  soulevant des soupirs d’admiration à leur passage.  Après tout, ces fameux uniformes sont imposés par l’école des chères Sœurs et distinguent les filles pour la messe dominicale.  Que je déteste les voir, empaillées dans cette espèce d’ensemble digne d’une scène de théâtre des années 30! Encore que je préférerais porter ces uniformes comme déguisement tous les jours, plutôt que de devoir supporter ma femme un jour de plus de ma misérable vie.

Aujourd’hui, elle fêtait ses 40 ans et je l’emmenai comme à l’accoutumée au Karibe pour un dîner spécial que j’avais fait concocter pour l’occasion. Depuis le début de la semaine, elle s’était emballée comme une poule pondeuse dans sa cage, souhaitant accélérer le temps pour se retrouver ainsi dans sa robe rouge nouvellement acquise. Elle avait dépêché un maquilleur professionnel et une esthéticienne à notre résidence pour obtenir un produit final qui provoquerait des regards plein de haine de ses « amies ». Ces dernières s’étaient surement demandées comment une femme aussi terre-à-terre et dénuée de bon sens avait pu s’élever à leur rang; puis, elles s’étaient rappelées soudainement qu’elle jouissait d’une grande beauté extérieure et qu’il était facile pour un acheteur de se tromper sur la valeur intrinsèque d’une marchandise lorsque l’emballage était aussi sophistiqué. En effet, chaque lever de soleil me rappelait à quel point mon investissement avait été une erreur phénoménale.

Son rire faux résonnait dans mes tympans déjà anesthésiés par sa voix virulente. Elle gobait les compliments de ses convives comme un chameau assoiffé. Du pic de sa Mirandole, elle cherchait le sourire d’approbation des femmes et le hochement discret des hommes.  Elle aimait ça, flirter sournoisement et se rétracter juste à temps, lorsque les malheureux s’apprêtaient à bondir sur une proie qu’ils imaginaient facile. C’était mal connaitre ma femme! Son discours superficiel et trivial plaisait aux hommes de ma catégorie sociale déjà casés et dont le destin déjà tracé ne leur permettait pas d’envisager une relation plus longue qu’une partie de jambes en l’air. Certains braves comme moi l’avaient fait, et n’avaient pas eu d’autres choix que de se complaire dans leur secret de polichinelle.

Et voilà qu’elle me touchait encore l’épaule, comme pour donner une certaine extension acceptable à sa stupidité. A part le dernier sac d’Hermès, le nouveau parfum de Givenchy, et la collection de chaussures Louboutin, elle n’avait pas grand-chose à partager avec les autres femmes qu’elle avait invitées à sa grande soirée d’anniversaire. Celles-ci avaient vite perdu un quelconque intérêt pour les conversations lamentables que menait ma femme, ne conjuguant que le verbe « acheter ». Capacité acquise depuis des années qui s’était vite transformée en syndrome de « m’as-tu vu» et qui s’était aussi attaquée à mon système immunitaire, en me rendant constamment malade car cette tendance à la consommation me déplaisait au plus haut point.

Et arriva enfin le gâteau de la fêtée qui malgré ses 40 ans pouvait se flatter de pouvoir porter une robe moulante sans laisser déborder de partout des «poignets d’amour», caractéristiques des femmes de sa génération. Lorsque je la prenais de dos, afin de ne pas m’imposer son «beau » visage qui malgré lui me révulsait, j’avais l’impression que son corps n’avait pas vieilli d’une ride. Elle claironnait, non sans agacer les mères de famille que grâce à sa stérilité, elle n’avait pas eue à affronter les affreuses vergetures et les seins pendants – souvenirs impitoyables de la maternité-.

Ainsi, elle souffla ses bougies sans amertume sous les projecteurs assaillants du photographe de la soirée.

Il était minuit lorsque les invités prirent congé… Je m’apprêtais finalement à commencer les festivités. Oui, l’heure suivante allait marquer les premiers moments tant rêvés de ma liberté.  Dommage, il n’y aurait pas de gâteau pour célébrer, ni de photographe pour immortaliser le moment. Nous ne serions que deux. J’imaginais qu’elle s’attendait à une vraie surprise étant donné que cette soirée était devenue une vraie tradition. Son sourire éclatant m’encouragea à me lancer…

En effet, je rêvais de pouvoir être aussi heureux qu’elle l’était en ce moment, de pouvoir goûter au bonheur incommensurable qui l’avait envahi le jour où elle m’avait dit oui devant l’autel.  Je rêvais d’être aussi comblé qu’elle l’avait été durant ces quinze dernières années. Alors dans un souffle, je murmurai :

  • Je suis amoureux !

Elle me prit les mains dans un élan d’extase; je la regardai droit dans les yeux et lui dis :

  • Il s’appelle Ludovic et je m’apprête à vivre avec lui.

Elle me fixa sans comprendre, le souffle court. En l’espace d’une seconde, ma femme avait vieilli d’une vingtaine d’années. Cependant je ne pouvais plus ignorer cette flamme qui grandissait en ce moment à l’intérieur de moi, et qui s’apprêtait à jaillir comme un feu volcanique. La voir dans cet état me procurait un plaisir démesuré alors j’enfonçai le clou dans la plaie qui venait de s’ouvrir:

  • Je veux divorcer Linda. C’est à mon tour maintenant d’être heureux avec l’homme de ma vie.

Auteur : Farinja Bazin Bélance

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