EN UNESOCIÉTÉ

Je prie, tu pries, nous prions, vous priez…

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Matthieu arrive ! Matthieu s’en vient ! Matthieu est là !

Et voilà que déferle sur les réseaux sociaux la vague des : « Priez pour Haïti !  Priez pour mon pays ! Priez pour notre pays ! Priez pour le peuple haïtien ! »

Quelle bourrasque d’humanité et de solidarité fraternelle ! Quel souffle de piété et de foi ! Ah oui ! Heureusement que nous autres haïtiens nous sommes choisis par Dieu, même dans nos malheurs ! Il nous écoute, c’est certain ! Il nous protège cela ne fait aucun doute ! Il nous épargnera c’est sûr ! Il ne nous oublie pas, cela va de soit !!

Dans le pays du « Bondye Bon » du « Demain est bien loin » et du « un jour à la fois », prier reste naturellement la seule porte de secours, la seule planche de salut ! Eh oui !

Loin de nous l’idée de sous-estimer, ou encore de réduire la force et la puissance de la prière ! « La foi déplace les montagnes », nous a appris notre éducation chrétienne. « Le Seigneur est mon berger je ne manquerai de rien ! »

Oui ,  nous croyons ! Oui, Dieu est Grand et Bon ! Oui, Dieu est Miséricordieux ! Oui, Dieu est Amour et Il ne voudrait en aucun cas voir ses enfants souffrir et périr !

Mais….

Il nous a été également enseigné : « Aides-toi et le Ciel t’aidera ! ».  Quand avons-nous utilisé à bon escient les grâces de Dieu pour nous construire ?  Prier certes, mais qu’avons-nous fait de l’impératif de  « mettre la main à la pâte » ?

Sur les médias sociaux on s’en donne à cœur joie, bien sûr avec le ton triste qui convient… Il s’agit de qui « postera » le plus, à qui priera le plus ?

Mais….

Nous ne pouvons nous empêcher de nous demander :

  • Où étaient passés les « Priez pour Haïti » lorsque des fonds tant publics que privés finançaient des festivités carnavalesques sans lendemain ?
  • Où s’en vont les « Priez pour Haïti » lorsqu’à deux reprises, de l’argent est jeté par les fenêtres pour entretenir le leurre que notre vote vaut et veut dire quelque chose ?
  • Où sont les « Priez pour Haïti » lorsque toutes ces voitures neuves, ces grandes maisons, ces beaux voyages autour du monde surgissent, alors qu’on nous répète sans cesse, les caisses sont vides, le pays est pauvre ?

Je prie, tu pries, nous prions, vous priez, il(s)/elle(s) prie(nt) ! Une chose est indéniable, nous, peuple haïtien, savons prier ! A tous les temps et en tout temps ! « Se pa yè maten n’ap priye non ! ». Que serions nous devenus si nos voix et nos chœurs ne montaient pas aux cieux ! Depuis 200 ans…

Bien sûr nous ne sommes pas les seuls à prier pour Haïti. Heureusement ! Il y aussi cette masse de gens hors de chez nous qui, elle aussi, Dieu Merci, prie pour nous ! La Diaspora prie ! Que peut-elle faire d’autre, elle qui fait déjà tant…

Les ONG, les bailleurs de fonds, nos pays amis, prient aussi ! Il faut bien ! Prions pour que les secours arrivent vite, que les dons parviennent à ceux véritablement dans le besoin ! Prions ! C’est donnant-donnant ! Après tout, le système entier repose sur le « Bondye Bon »… Prions !

Pourtant, il nous semble que quelque chose a été oubliée dans tout cet amas de prières. Du moins c’est l’impression qui s’en dégage.   Tout le monde parait oublier le fait No 1, celui qu’un milliard de prières ne pourrait changer,  celui contre lequel les prières du monde entier ne pourraient nous protéger : Haïti, terre volcanique, climat tropical, sur le chemin des catastrophes naturelles, tremblements de terre ou ouragans, toujours en plein œil du cyclone ! Allons-nous pour autant, commencer à prier pour que Dieu, dans son infinie bonté, prenne pitié de nous  et bascule notre position géographique ? Sait-on jamais ? Prions ! Les miracles existent bien…

Je prie, tu pries, nous prions, vous priez, il(s)/elle(s) prie(nt). Demain est un autre jour. Demain sera meilleur ! A force de prières pour notre salut, un jour nous verrons tous l’Haïti que nous souhaitons. La prière amènera la chance, et la manne tombera du ciel, sans que nous ayons eu besoin de labourer les champs, de semer les graines, et de mettre des toits solides sur nos têtes. Néanmoins, une prière se pense, se médite, se travaille, se construit, s’élève. Comme un pays. Non ?

Sans pour autant avoir répondu au pourquoi de ces déferlements d’appel à la prière lorsque nous sentons la menace, lorsque les dommages sont déjà là, et lorsque nos cœurs sont en lambeaux, la question reste entière, aujourd’hui face à Matthieu que peut-on faire d’autre ? Prions !

On verra bien, Bondye Bon…

 Est-ce que ceux-là se sont jamais demandés, s’il était possible de prier pour autre chose, en d’autres circonstances ? Après tout,  rien n’empêche de prier sur les médias sociaux lorsqu’il n’y a pas de catastrophes naturelles à l’horizon ? Quand verrons-nous, sans raison aucune, sans bulletin météorologique annexé, sur les Facebook & Co  des :

  • Prions pour que les enfants d’Haïti apprennent à l’école de manière scientifique ce qu’est un cyclone, ce qu’est un tremblement de terre, et sachent quoi faire pour se protéger ;
  • Prions pour que le peuple haïtien fasse un choix judicieux et raisonné aux urnes ;
  • Prions pour notre mémoire reste vive et que nos immeubles soient désormais construits selon des normes ;
  • Prions pour qu’enfin un crédit agricole soit mis en place et que nos paysans puissent assurer leurs récoltes contre vents et marées ;
  • Prions pour que notre image arrête d’être ternie à tort et à travers, et qu’on ne dise plus publiquement, sans autre forme de procès, que nos enfants sont réduits à manger des arbres;
  • Prions pour que la Lumière et l’Esprit descendent sur nos chers politiciens, nos chers dirigeants pour qu’ils pensent « Politiques Publiques et Long terme », et non à leur fortune immédiate ;
  • Prions pour que le citoyen haïtien ne soit plus un mythe ;
  • Prions pour que 6 années ne s’écoulent pas encore sans que nous prenions conscience à nouveau de notre vulnérabilité;
  • Prions pour que les catastrophes naturelles cessent d’être le moteur et la source de notre conscience collective;
  • Prions pour que les haïtiens aiment enfin leur pays ! Pas de cet amour frivole et « bambochard », mais de cet amour vrai et profond qui amènerait chacun à accomplir ses tâches quotidiennes en pensant « Haïti est tout ce que j’ai, que puis-je faire aujourd’hui pour contribuer à son bien-être? » !

Voilà ma prière, mais hélas, nombreuses sont les prières qui ne sont pas exaucées lorsqu’on n’y met pas du sien, du nôtre…

Je prie, tu pries, nous prions, vous priez, il(s)/elle(s) prie(nt) ! Alors que les rafales  de Matthieu cognent à nos portes et sur nos toits, balaient notre terre et inondent nos cœurs, Prions !

Une prière de gratitude…

Remercions Dieu pour tous ses bienfaits, remercions Le pour sa protection infaillible, remercions Le de continuer à nous aimer sans cesse, inconditionnellement, malgré tout.

Car cela aussi, c’est prier…

Sinon comment pouvons-nous expliquer que nous sommes encore là aujourd’hui, à prier … Oh, Femmes et Hommes de peu de Foi !

Geneviève Michel

Image: Ralph Thomassaint Joseph

La rédaction de Ayibopost

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