AYIBOFANMEN UNESOCIÉTÉ

J’ai failli à mon devoir de mère…

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Quelques mois après notre séparation, mon époux alcoolique, Franck, se montrait toujours possessif à mon égard. Sa folie, un soir, me fit reconnaître l’intensité de l’amour de ma fillette, Claudia, âgée de 6 ans, pour moi. Tel « l’Agneau Immolé » se livra pour nos péchés, elle accepta de se sacrifier pour me préserver des griffes de son père.

Ce soir-là, après avoir mis Claudia au lit, je me rendis chez les voisins afin de déstresser un peu. Il était environ 8 heures et quart quand ma nièce s’en vint m’avertir de cet esclandre qui se déroulait chez moi. Arrivée au salon, à bout de souffle, je restai immobile, stupéfaite, assistant à une scène dramatique se jouant entre ma fille et son père. Claudia était à genoux, en larmes, suffoquant presque, ses mains minuscules barrant ses lèvres comme pour bloquer ses gémissements. Franck, lui, était en pleine hystérie, titubant sous l’effet de l’ébriété, son ceinturon plié en deux à la main. « Je te le demande encore une fois ! Le menaj de ta mère, Fred, n’était-il pas ici, dans la maison, le week-end dernier ? » Hurla-t-il. Claudia sanglotait ; ses petits yeux noirs brillant à travers les larmes me scrutèrent et son regard me transperça, me suppliant de venir à sa rescousse. Fred était certes à la maison, mais la jalousie maladive de Franck lui chuchotait toujours que mes rapports avec tout être de la gent masculine ne pouvaient être qu’intimes. Avec un pincement au cœur, je la fixai en lui faisant signe de dire « non ». Obéissante, son regard apeuré se tourna vers son père, à qui elle fit non de la tête. Furieux, Franck leva le bras lançant le ceinturon avec une telle rage que je crus que la peau de Claudia y resterait, en s’égosillant : « Petite menteuse ! Ras manman’w ! Mwen fini avè’w ! » Je ressentais chaque coup de ceinture et chaque cri de Claudia comme un coup de poignard au cœur, mais ma lâcheté et ma peur me paralysaient, me rendant impuissante. Devrais-je essayer à nouveau de contacter les autorités, comme la dernière fois, pour me laisser dire qu’elles étaient dans l’incapacité de me venir en aide? Cette fois où la violence de Franck m’avait valu quelques nuits à l’hôpital et quelques jours de congé impromptus… Ce soir où mes oreilles devinrent enfin réceptives à la voix d’Abraham qui me murmurait sans cesse : « C’est assez ! » Ce soir où mon orgueil et ma dignité se révoltèrent ; où mon cœur devint immunisé contre les promesses vides de Franck, ainsi que son perpétuel « acte de contrition » que je connaissais à présent par cœur. Etait-ce sa manière de me punir et de m’inciter à revenir sur ma décision ? Est-ce donc ce « pire » auquel le prêtre faisait référence le jour de notre mariage, il y a sept ans ?

Il me parut plus efficace de recourir aux voisins, qui en effet calmèrent Franck quelques minutes plus tard… Je restai abasourdie toute la soirée, honteuse de n’avoir rien fait pour éviter à Claudia ce supplice, en l’obligeant à mentir. Je ne suis d’ailleurs même pas sûre qu’elle saisissait les propos de Franck, et encore moins la raison pour laquelle elle reçut cette fessée, simplement pour avoir hoché la tête, pour m’avoir obéi. Quelle ironie hein?! Elle avait certes souvent été spectatrice de telles engueulades entre ses parents, mais elle n’avait probablement jamais imaginé en être un protagoniste un jour. Mon premier devoir en tant que mère est de la protéger et de la défendre, et voilà que les rôles étaient inversés. En contemplant son petit corps maigrichon sur son lit et l’innocence de son visage endormi, le pouce dans la bouche, je ne pus contenir mes larmes. Je suis persuadée que, sa bonté et sa sensibilité, la porteront à me pardonner. Mais comment arriverai-je à me pardonner à moi-même ? Je n’ai pas eu le courage de la remercier pour son acte brave et altruiste, ni de lui exprimer mon amour avant que Morphée ne me l’emprunte ce soir-là. Mais je prie le Bon Dieu de m’accorder le privilège de la voir grandir afin de me débarrasser de ce poids qui m’accable, cette charge que je dus transcrire sur une page vierge :

Ma tendre fille,

Je rédige cette lettre, les larmes aux yeux, l’âme brisée, le cœur souillé par le remords, la confusion et l’indignité. Par -dessus tout, je souhaite que tu ne sois jamais submergée par de tels sentiments. Je m’excuse de t’insérer dans mes aventures qu’aucun être de ton âge ne devrait subir. Je m’excuse d’être aussi faible et de me laisser trépigner continuellement, jusqu’à ce que ma couardise l’emporte sur ton bien-être. Quel modèle pour toi ! Je ne veux surtout pas que tu appréhendes l’amour et le mariage, à cause de mes expériences et des tiennes dans notre foyer. Au contraire, je souhaite que tu les utilises pour tes choix et décisions futurs. Saches que, quelque soit la circonstance, aucune femme ne mérite d’être déchue de ses droits inaliénables à la vie et à la liberté. S’il arriverait que tu aies à vivre ce dont tu as si souvent été témoin, sache qu’une seule fois suffit. Fais de la première fois, la dernière. Sache aussi que tu ne serais pas la fautive, contrairement à ce que cet homme et la société te feront penser. Sache que toute situation ne nécessite pas une seconde chance, et celle-ci en est une. Quand tu te sentiras emprisonnée par les « qu’en-dira-t-on » ou par tes enfants probables, sache que l’important est de leur assurer un environnement sain, exempt de tout type d’abus, allant du verbal au physique. Ne laisses jamais les mots de cet homme te dépouiller de ta valeur et de ton honneur. Sache que tu ne pourras pas toujours compter sur les autorités judiciaires pour te défendre, vu que leurs intérêts pour la question ne surgissent qu’en cas ultime : quand il est évidemment trop tard. Mais je te promets d’être là, si le Seigneur me le permet, pour t’épauler et te guider. Sache enfin que je m’en veux horriblement de t’avoir infligé ce supplice et que je ne t’abandonnerai plus jamais comme je l’ai fait ce soir.

Je t’aime un peu plus chaque jour.

Manmy

Young woman pursuing a master's degree in Development and Population Sciences, with a vision of a better Haiti, the country that has given her birth and stolen her heart... Dull bio right? I promise my posts aren't! ;)

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