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Haïti: Où est passé l’argent de la dette ?

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Le mercredi 12 avril 2017, j’ai participé, sur invitation de la Banque Interaméricaine de Développement (BID) au « Mercredi de Réflexion » sur le thème : « Dette publique et développement ». J’ai fait le déplacement avec deux autres camarades du parti FUSION parce que les questions économiques sont depuis un certain temps, le centre de nos préoccupations et de nos débats au niveau de la direction du parti. En tant que personnalité politique aspirant à diriger le pays, j’estime que les problèmes économiques, les investissements tant publics que privés, la croissance, la répartition des fruits de cette croissance quand elle est au rendez-vous, la réduction de la pauvreté ou mieux la création de richesses, sont autant de sujets qui doivent retenir l’attention et sur lesquels la société haïtienne dans toutes ses composantes devrait se pencher. Pour la sociale-démocrate que je suis, j’ajouterai à cette liste : la réduction des inégalités, puisque ces dernières sont un frein à la croissance  augmentant d’ailleurs le risque de crises financières.

Les sujets ont été développés par deux cadres du Ministère de l’Economie et des Finances (MEF) et de la BRH respectivement et aussi par des représentants  de la Banque Interaméricaine de Développement (BID), du Fonds Monétaire International (FMI) ainsi que par un ancien Ministre des Finances du Chili. Cependant, je m’arrêterai dans ce papier sur les exposés limpides, transparents et didactiques du Directeur Général Adjoint Chargé du Trésor au Ministère de l’Économie et des Finances Monsieur Jean Donat ANDRÉ et de la représentante de la Banque Centrale Madame Fabiola BENOIT. Ils ont parlé respectivement du « poids de la dette publique dans les finances publiques » et de « l’impact de la dette publique sur la croissance et le développement ».

Leurs brillantes présentations m’ont particulièrement interpellée et m’ont portée à poser cette question qui devrait être un sujet de préoccupation pour toutes les citoyennes et citoyens haïtiens : Qu’a-t-on fait de l’argent de la dette ?

Cette question est trop importante pour qu’on la laisse aux économistes seulement. Elle devrait faire l’objet de discussions et de débats au sein de nos universités et dans nos écoles, dans les partis politiques, dans les forums de la société civile, dans les syndicats, sans oublier bien entendu  le parlement qui a l’autorité et l’obligation constitutionnelle de contrôler l’action gouvernementale.

Sans vouloir être trop technique et aligner plein de chiffres, rappelons qu’en 2008/2009, la dette publique externe de notre pays a été considérablement réduite voire presqu’entièrement annulée. Après environ une soixantaine d’années d’obtention de financements externes, Haïti n’avait jamais atteint le seuil des deux milliards de dollars US de dette externe. En moins de dix ans, cette dette a grimpé à trois milliards de dollars dont la plus grande partie (90%) a été contractée envers le Venezuela dans le cadre du programme Petro Caribe. À notre avis, ce n’est pas le montant de la dette qui pose problème. Nous croyons que, pour construire les infrastructures nécessaires à son développement, notre pays a besoin de s’endetter intelligemment autant qu’il le faut. Car le pays, au regard de la politique générale du gouvernement  et des feuilles de route des ministères sectoriels, aura besoin de contracter des prêts auprès des bailleurs de fonds multilatéraux pour des investissements publics vu que les dons ont commencé à diminuer. Depuis 2011, ils sont passés actuellement à moins de 500 millions de dollars et  vont arriver à terme, la période d’octroi par les dits bailleurs étant achevée. Mais chaque dollar, chaque euro doit être utilisé au mieux des intérêts nationaux pour créer les conditions indispensables permettant d’attirer des investisseurs et de créer des emplois durables et bien rémunérés.

Trois milliards de dollars de dette et zéro impact sur la croissance

Pour moi, la révélation de cette conférence est venue de la jeune économiste de la Banque Centrale qui a clairement démontré que, contrairement à ce qui est constaté dans d’autres pays, l’accroissement substantiel de notre dette publique externe au cours de ces dix dernières années n’a pratiquement eu aucun impact sur la croissance de notre économie. On est en droit de se demander comment une injection directe de trois milliards de dollars d’investissement public dans une économique aussi rachitique que la nôtre n’ait pas pu contribuer à la relance de l’activité économique ou du moins à l’augmentation du taux de croissance ? Cette constatation rend encore plus perplexe quand on sait qu’à ces trois milliards de dépenses publiques, il faut aussi ajouter la dette interne envers la Banque Centrale et les centaines de millions ou de milliards de dons accordés au cours de la même période par les bailleurs de fonds bilatéraux et multilatéraux (dont 30 milliards de gourdes pour le budget en cours).

Je sais que la dette publique ne constitue pas l’unique paramètre à prendre en considération pour calculer le taux de croissance. Mais force est de reconnaître qu’une utilisation rationnelle des ressources de la dette aurait certainement dû donner des résultats plus probants. Certains mettront cela sur le dos des catastrophes naturelles, de la hausse du prix du pétrole ou de l’instabilité politique. J’ai le sentiment qu’il faut aussi introduire dans l’analyse : la corruption, le détournement des deniers publics, les surfacturations, les commissions pharaoniques et les fortunes individuelles bâties en peu de temps sur le dos des contribuables.

La quasi-totalité de notre dette externe est constituée de prêts concessionnels, c’est-à-dire que les taux d’intérêt sont très faibles et les modalités de remboursement très favorables. Ce sont nos enfants et nos petits-enfants qui auront à tout rembourser. Nous devons poser la question à nos dirigeants : qu’ont-ils à nous montrer pour ces trois milliards ? Est-ce que l’administration actuelle aura le courage de nous dire où est passé l’argent de la dette ? Combien de mégawatts d’électricité en plus, combien de kilomètres de route additionnelle  construite ou de canaux d’irrigation réhabilités ou construits, combien de systèmes d’adduction d’eau potable et d’assainissement dans nos villes, combien de nouvelles universités, combien de nouveaux ports ou aéroports, combien de nouvelles infrastructures touristiques ? La liste pourrait continuer à l’infini.

Un instant, on a cru qu’une enquête sérieuse et approfondie serait conduite pour confirmer ou infirmer les graves accusations contenues dans le rapport de la commission sénatoriale qui a planché sur le sujet. Mais apparemment, ce n’était que de la poudre aux yeux, une opération de communication menée pour donner l’impression qu’enfin les citoyennes et les citoyens allaient connaitre la vérité, toute la vérité, que des sanctions allaient être prises, que des têtes allaient tomber et pas des moindres ou que le trésor public allait récupérer ne serait-ce que partiellement les sommes détournées. Mais à ce jour, rien ne laisse entendre que l’on va dans cette direction. La manœuvre s’est révélée habile car elle a permis de désamorcer toute contestation à ce sujet et de démobiliser celles et ceux qui voulaient demander des comptes à nos dirigeants. Ceux-là mêmes sont toujours aux commandes en première ligne ou agissant dans l’ombre par personne interposée.

La dette publique n’ayant pas contribué à la croissance de notre économie, il nous incombe à nous citoyennes et citoyens qui, finalement aurons à payer des impôts pour la rembourser, de demander des comptes, d’exiger des explications et d’obtenir un maximum de valeur ajoutée pour l’argent public investi.

Ces trois milliards de dollars ne doivent pas passer dans la rubrique pertes et profits de la comptabilité publique.

Ayisyèn, Ayisyen, jwèt pou nou.

Edmonde Supplice BEAUZILE

Présidente du Parti Fusion des Sociaux-Démocrates Haïtiens (PFSDH)

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