POLITIQUE

Être maître de son destin en dépit de ses origines sociales et géographiques

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Le texte qui suit est le fruit de plusieurs observations réalisées dans le cadre de nos activités de promotion de la culture entrepreneuriale en Ayiti par le biais de la Fondation ETRE Ayisyen. Il traduit modestement la soif de changement qui nous anime et les raisons de notre engagement pour une Ayiti moderne, inclusive et prospère. À tous ceux qui croient en une nouvelle Ayiti, le débat est lancé.

Ayiti reste un pays où l’émotion et la perception jouent un grand rôle dans l’attitude et le comportement des individus. C’est pourquoi une minorité de la population semble destinée à être toujours dépositaire des richesses. Ceux qui sont dépourvus de moyens sont perçus et se perçoivent comme incapables de rentrer dans une démarche de croissance. La vie est reçue comme un héritage hostile et les efforts à déployer pour survivre sont simplement gigantesques.

L’accès à une formation de qualité et le manque d’information créent un fossé de plus en plus grand entre les jeunes issus d’un même pays. À cela, s’ajoutent un environnement à ressources limitées et un modèle économique qui ne favorise nullement la croissance et la création de richesses. Il s’ensuit une distribution biaisée de la richesse qui accentue le clivage entre riches et pauvres. L’éducation, dans tous les pays développés, est considérée comme le phare qui conduit au développement socioéconomique.

C’est justement pourquoi des pays comme les États-Unis, le Canada, la France investissent des sommes astronomiques pour se doter de toutes les infrastructures nécessaires à l’établissement d’un environnement favorisant la recherche et l’innovation.

Plus près de nous, Cuba s’avère être un modèle respecté, quand aujourd’hui la qualité et la performance de son système de santé sont reconnues de tous, avec des médecins capables de rivaliser avec les plus grands spécialistes du monde entier. Selon les chiffres disponibles, chaque année en moyenne 50 000 écoliers vont au bac 2. Tandis qu’en même temps, l’université d’État affiche une capacité d’accueil annuelle d’environ 5 000 étudiants et un total de 20 000 étudiants, pour ses 11 facultés y compris les annexes éparpillées dans quelques villes de province.

La question du filtre social

Depuis au moins 2 décennies, on vend aux familles haïtiennes, particulièrement celles vivant dans les régions reculées du pays, l’idée qu’envoyer ses enfants à l’école est la seule garantie d’un lendemain meilleur. De ce fait, le plus clair des richesses du paysan haïtien est hypothéqué rien que pour permettre à ses enfants d’avoir l’opportunité de fréquenter un établissement scolaire. Point n’est donc besoin d’insister sur les sacrifices énormes consentis par ces familles modestes à la poursuite de ce noble idéal.

Mais voilà que l’éducation en Ayiti qui devrait être une question primordialement d’ordre étatique est pratiquement livrée à elle-même. Pas étonnant que dans bon nombre d’écoles, des jeunes gens du niveau de 6e/7e année fondamentale enseignent dans des classes de 9e année fondamentale. Dans certaines écoles, des élèves de deux classes différentes (3e et 4e année, par exemple) sont contraints de partager la même salle de classe et le même professeur, soucis financiers et manque d’infrastructures obligent.

Plus de 80% des écoles autorisées à fonctionner en Ayiti sont des initiatives privées et une majorité échappent aux processus de régularisation et de supervision des institutions gouvernementales concernées. D’où la prolifération de ce que nous appelons couramment « écoles borlettes ». D’un autre côté, l’accès aux écoles privées de qualité reste presqu’exclusivement réservé à un petit nombre de favorisés. Ces « écoles borlettes » jouent un rôle capital dans la formation de nos enfants. 20 ans plus tard, l’éducation se révèle être, pour bon nombre de familles haïtiennes, un très mauvais investissement. Car, même avec un, deux ou trois diplômes, l’avenir reste sombre pour ces jeunes désespérés qui sont incapables de se prendre en charge, puisqu’ils à se trouver un emploi. Le résultat est choquant dans la mesure où le cycle de la pauvreté est ainsi maintenu.

Quand on connaît le coût élevé de l’accès aux universités privées et eu égard à la précarité économique de la majorité de la population, quand on fait face à un manque criant d’infrastructures universitaires de qualité, n’est-on pas en droit de se demander quel sort est réservé à ces milliers de jeunes, qui ne peuvent pas laisser le pays pour poursuivre leurs études supérieures? N’y a-t-il pas lieu de questionner la qualité de notre système éducatif ? N’y a-t-il pas lieu de questionner la formation que nous avons reçue et celle que nous transmettons à nos enfants ? N’est-ce pas là une occasion à saisir pour bien comprendre le système visiblement défaillant dans lequel on veut nous maintenir ?

Un système qui parvient à zombifier nos enfants et qui enlève pratiquement tout espoir à nos jeunes. Un système qui crée énormément de frustrés. Un système qui constitue, en fait, un véritable filtre social, déterminant au préalable ceux ou celles qui ont le plus de chances de réussir. Comme quoi, tout est prédestiné et conditionné par nos origines.

 Sortir du cycle de survie et de l’économie de rente

Que faire donc dans un pareil contexte ? À quel saint se vouer ? La grande majorité de la population patauge dans une misère insoutenable et avilissante. Aujourd’hui, le secteur privé haïtien n’arrive pas à créer assez d’emplois. Nous vivons dans une société qui s’autodétruit, pour répéter le sociologue Anthony Barbier. Une société qui détruit son environnement et dilapide son patrimoine naturel. Une société qui déconstruit l’État pour s’enfermer dans la délinquance et dans une violence improductive qui empêche la mise en place d’un ordre permettant la création de richesses et qui favorise l’installation d’un climat de peur et de soumission, qui lui même incite à toutes formes de prédation. Il apparait donc impératif de sortir de ce cycle de survie, où la misère est en permanence renouvelée.

Cette économie de rente qui nous caractérise et dans laquelle l’enrichissement se fait, au détriment des masses défavorisées, par copinage, gage et prélèvement (prédation) plutôt que par contrat et création de richesses (production) ne pourra, en aucun sens, nous aider à relever la tête ni à recouvrer cette souveraineté qui nous est si chère.

Nous sommes arrivés à établir un système dans lequel même les élites intellectuelles et politiques ont du mal à joindre les deux bouts. Pas de crédit pour s’acheter ou se construire une maison, pas de crédit pour se procurer une voiture. Pas de crédit pour envoyer son enfant à l’université en Haïti et encore moins ailleurs. Le jeune étudiant, le jeune professionnel tout comme l’employé cadre, éléments de la classe moyenne se voient tous refuser l’accès au crédit. Mais qui sera finalement crédible dans cette société ?

Or, il se trouve que toute société se développe à partir d’une classe moyenne relativement bien formée et forte économiquement. Pourtant on constate aujourd’hui qu’il n’existe guère de différence entre celui qui gagne 2 dollars par jour et le professeur ou le médecin, au niveau des conditions de vie, de l’accès à l’habitat, au crédit et aux loisirs.

Quelle différence faites-vous entre un jeune étudiant haïtien et un cireur qu’il rencontre dans les rues ? C’est une question qui peut choquer, même si on n’a nullement l’intention de minimiser la valeur de ce dernier ni d’établir une discrimination quelconque à son encontre. Mais en réalité, l’avenir est aussi sombre et sans issue pour l’un comme pour l’autre.

Notre « élite » économique n’arrive pas à créer assez de richesses. Elle se conforme au statu quo : faire du commerce. Rentrer dans la production, c’est trop compliqué et trop risqué ! Une élite économique qui réussit pourtant à mettre une bonne partie de l’élite intellectuelle et politique au service de ses intérêts. Les uns investissent leurs compétences, leur intelligence et les autres créent les conditions politiques favorables. Peut-il y avoir réellement une nouvelle Haïti sans une intéraction proactive et harmonieuse entre ces élites, axée autour des intérêts communs de la nation?

Offrir une égale opportunité à tous. Vers un pacte et une vision partagée entre les élites

Une nouvelle approche s’impose : l’opportunité égale pour tous. C’est-à-dire offrir une éducation de qualité à tous, donner l’accès à l’information via les nouvelles technologies et promouvoir l’entrepreneuriat tout en garantissant l’accès au crédit. Pratiquement toutes les sociétés en développement aujourd’hui le comprennent. Cela permet d’élargir la base et d’augmenter la richesse. Les riches deviennent plus riches, une vraie classe moyenne émerge et la pauvreté logiquement diminue. Cette nouvelle approche, ce changement de paradigme, c’est ce que nous devrions expérimenter en tant que peuple.

C’est cette aventure que nous proposons à la jeunesse haïtienne de tenter. C’est ce voyage que nos élites doivent tenter. C’est le chemin que nous n’avons pas encore emprunté, le chemin le moins fréquenté pour citer Scott Perk. Le chemin du succès collectif, la route vers la création du nouvel ETRE Ayisyen. Un défi à relever !

Car aujourd’hui, aucune « élite » ne doit représenter de menace pour une autre. Chaque citoyen doit se sentir utile à sa société. La méfiance doit cesser entre nous. Nous devons faire disparaître ce sentiment défaitiste qui nous anime en tant que peuple et qui veut qu’on se serve de l’autre pour parvenir à ses fins personnelles.

Pour y arriver, il nous faut absolument construire de nouveaux schémas de pensées et développer de nouveaux réflexes par rapport à l’économie. Ce qui est clair, c’est que nous devons tout faire pour sortir de l’économie de survie. Pour cela, il nous faut utiliser désormais un nouvel outil : l’entrepreneuriat. Il faut l’enseigner aux jeunes, aux adultes, à nos élites, à notre peuple.

Naguère « être pauvre était ne pas avoir, aujourd’hui c’est ne pas apprendre, ne pas savoir, demain ce sera ne pas appartenir et qui sait, ne plus ETRE Ayisyen ». Valorisons notre pouvoir créateur. Réalisons notre devoir d’agir, de changer et de construire. Misons sur notre jeunesse, comme force vive pour la réussite. La richesse est possible et les opportunités illimitées. Inspirons-nous de ceux qui ont pu réussir en utilisant cet outil qu’est l’entrepreneuriat.

Cette approche n’est point un saut dans le vide vers quelque chose d’inconnu. Elle est connue et testée. Et surtout, elle doit être accompagnée par la prise d’un certain nombre d’initiatives d’un intérêt vital pour l’ensemble du pays. Celles-ci devraient aboutir à la mise au point d’une stratégie nationale de développement et d’une Banque nationale de développement. Ce qui faciliterait l’accès au crédit pour nos jeunes entrepreneurs à des conditions plus souples que celles qui sont présentement offertes par les banques commerciales.

Nous avons compris qu’au-delà des succès individuels, il faut parvenir à un succès collectif. Car l’échec haïtien est collectif.

Aussi, faut-il promouvoir un message d’espoir et qui rappelle que nous devons être les seuls maîtres de notre destin. Aujourd’hui, le message à la jeunesse est celui-ci : Devenez des agents de création de richesses. Devenez des messagers de paix, d’amour et d’espoir. N’attendez plus, levez-vous, marchez, courez, entreprenez pour relever le défi d’ETRE Ayisyen.

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