AYIBOFANMEN UNESOCIÉTÉ

Être homo, lesbienne ou bisexuel en Haïti

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J’ai reçu une éducation chrétienne. Donc pour moi, ou selon ce qu’on m’avait appris, les homosexuels, bisexuels et toutes autres orientations sexuelles ne regroupaient que des gens iniques et par conséquent maudites. A l’adolescence, la vie et le sort des LGBTI m’intéressaient peu. Qu’est ce que cela pouvait bien me foutre ce qu’une personne adulte et saine d’esprit fasse de son cul ? Puis, les Haïtiens ont commencé avec violence à mettre le feu à ces culs dont je me foutais allègrement. Dès lors, je ne pouvais plus rester indifférente à leur sort. Il me fallait choisir un camp. Evidemment, avec mon sens de la justice et du juste, j’ai choisi leur camp, celui de la liberté.

Je défendais cette communauté sans vraiment savoir ce qu’était leur mode de vie. Je m’insurgeais contre les « châtiments » dont ils étaient les malheureuses victimes. A mes yeux, c’était inconcevable de « punir » quelqu’un pour quelque chose qui lui faisait du bien et qui ne dérangeait personne d’autre outre mesure. Il n’y a que la méchanceté et la cruauté des hommes qui peuvent se vanter d’égaler leur bêtise. Puis il m’est venu une idée. Pourquoi ne pas tout simplement leur demander d’en parler ? Recueillir leur témoignage.

Nous ne parlerons ici que d’une seule femme, une jeune femme déclarée bisexuelle. Elle désire les hommes et les femmes avec le même intérêt. Elle est à la fac, aime la lecture, la musique et l’écriture, elle a même un petit ami. Une personne presque ordinaire comme on en rencontre chaque jour. Je lui ai demandé de partager avec moi tout ce qu’elle voulait exprimer sur sa bisexualité. Cette amie m’a parlé de sa vie, ses peurs, ses rêves. Je vais tenter d’être aussi brève que possible.

Elle découvrit sa bisexualité en secondaire, durant son adolescence. Mais ayant reçu une éducation chrétienne elle se sentit sale et impure, elle la refoula au plus profond d’elle. Des années plus tard son attirance pour le sexe féminin la rattrapa. En clandestinité, elle a pu tisser une relation amoureuse avec une jeune femme. Cependant, elle se dégoûtait elle-même par moment. Malgré ses sentiments et son attirance elle n’arrivait pas à se défaire de la conception judéo-chrétienne de la sexualité qui lui a été inculqué. Finalement la relation ne fonctionna pas, elle arrêta. Quelques années plus tard, elle noua une idylle avec une autre fille. Elle souffrit le martyre lors de cette seconde expérience. Elle ne pouvait aller nulle part sans qu’on ne la prenne pour une pute ; elle était aux yeux de tous, la fille facile et libertine. Les gens autour d’elle n’arrivaient pas à comprendre qu’elle aimait vraiment sa compagne et que c’était plus qu’une expression d’une folie de jeunesse. Elle ne sait combien de fois elle a du répéter cette phrase : « Se renmen mwen renmen ak avè l wi, se pa jwe map jwe ». Avons-nous la moindre idée de ce que ça fait d’être pris pour quelque chose, pour quelqu’un que l’on n’est pas ? Elle entendait les gens chuchoter autour d’elle dès qu’elle se trouvait dans un espace public. Elle n’en revenait pas qu’elle était perçue comme une pute au pire et comme une fêtarde dévergondée dans le meilleur des cas. Elle a toujours eu des principes et des valeurs chères à elle ; elle n’était pas une Sainte-Vierge et ne le prétendait pas non plus, mais les gens autour d’elle persistaient dans leur perception erronée de sa personne. Elle faisait toujours l’objet de propositions indécentes, quand un homme la regardait, elle avait l’impression d’être réduite à un objet de plaisir et de dévergondage. Même après sa rupture, pendant des moments durs émotionnellement, on continuait à lui demander des choses que la bienséance m’empêche de retranscrire ici.

Quelques temps après, elle se mit en couple avec un mec et fit taire ses envies déclarées impures et contre-nature. Elle est depuis, stable et généralement heureuse avec son compagnon. Mais, je n’ai pas pu me retenir de lui poser cette question qui était évtable: « et cela te convient de refouler tes envies ? Car je sais qu’il n’y a rien de plus frustrant qu’une envie non satisfaite… ». Sa réponse a été claire et témoigne d’une grande peine : «  M pito viv konsa tan pou m ta reviv sa m te viv lè m te ak fi ».

Au moins, elle est bisexuelle. Etre en couple avec un homme n’est pas un supplice pour elle. D’ailleurs, me confia-t-elle, « j’ai des sentiments assez forts pour lui. Mais qu’en est-il de ceux et celles qui ne sont pas attirés par ceux du sexe opposé ? »

Elle m’a fait comprendre que dès qu’on n’est pas hétéro dans ce pays, les gens croient que notre ultime but est le plaisir et le dévergondage. Moi, je connais des hétéros et personne ne sait mieux faire la fête en se livrant à la luxure qu’eux. Une fois, j’ai voulu comprendre la position des autres et j’ai demandé pourquoi on détestait tant la communauté LGBTI. Hormis les chrétiens et religieux qui pensent avoir reçu l’ordre de Dieu, j’ai voulu comprendre ce que leur reprochaient leurs détracteurs qui ne se cachent même pas derrière des dogmes religieux pour justifier cette haine. Pourquoi donc un « bredjenn » qui n’a jamais mis les pieds dans une église déteste-t-il autant les homosexuels? J’ai voulu comprendre. Parmi les nombreuses raisons absurdes expliquant cette haine, la perle qui m’a été le plus souvent servie était celle qui pardonnait les lesbiennes, mais fustigeait les gays : «  Nou pa gen anyen ak fanm non, men de gason an bay kè plen ».

De paisibles citoyens se font harceler quotidiennement et perdent parfois la vie parce que d’autres ont un haut-le-cœur qui paraît être avant tout esthétique.

Quelle logique ? Au nom de quoi devrais-je regarder un autre, différent de moi, avec haine et irrespect ?

Mais bon, je suppose que ce n’est pas demain la veille que cela changera. Et j’aurai beau m’insurger, on me lapidera avec eux. D’ailleurs j’ai déjà reçu des insultes et en recevra surement encore après la publication de ce papier… J’espère seulement qu’un jour, mes enfants vivront dans un monde où ce que fait l’autre dans sa chambre ne regardera que lui et son partenaire majeur et consentant.

J’ai peut-être reçu une éducation chrétienne mais je ne m’inscris pas dans cette logique haineuse maquillée d’intolérance. D’ailleurs, j’aurai des questions à poser à ceux qui me sortiront les versets disant clairement qu’un homme ne couchera pas avec un autre, mais tout cela, c’est un autre débat…

Saonha Lyrvole Jean Baptiste

Saonha Lyrvole Jean Baptiste est etudiante en sciences du langage, amoureuse de musique et de lecture. L'ecriture est sa passion.

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