AYIBOFANMEN UNESOCIÉTÉ

Dernier soupir

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Je ne voulais pas le lâcher ainsi, pourtant il le fallait. Elle était au soir de sa vie et il fallait s’en débarrasser au plus vite.  Qu’est-ce que j’avais à perdre maintenant ?  Rien. Elle savait que nous étions ensemble et pour ma part, je m’étais complètement affichée.  Son mari ne voulait plus d’elle et elle était bien au courant.  Mais pourquoi étrangement voulait-elle me rencontrer?

  • « Transpò lanmò a pitit! » m’avait confiée une amie.

Si c’était vraiment cela, pourquoi n’avait-elle pas fait appel aux membres de sa famille ? Elle n’avait qu’à rédiger son testament.  Qu’avais-je vraiment à voir là- dedans ?

Je fus son assistante pendant huit longues années. J’avoue qu’elle fut une patronne adorable.  Avec quelques petits écarts, toutefois, je suis convaincue que je ne trouverais jamais une personne comme elle: professionnelle, humaine, active et joviale.  Comment ne pas apprécier un milieu de travail  où elle est présente?  Impossible, je dirais.  Non seulement vous travaillez avec ardeur et amour, mais vous êtes aussi productif.  Si je suis aujourd’hui avocate, après tous mes efforts, je lui suis très reconnaissante!  Mais ceci n’avait pas empêché la suite…

Tout a changé le jour où son mari me donna cette fameuse traduction à faire ainsi qu’un budget prévisionnel pour les deux prochaines années de l’entreprise.  Rapidement, nous avons commencé à avoir des réunions interminables. Ses notes et rapports méritaient toujours une dernière correction.  Puis il décida de m’envoyer de petites notes privées…et me voilà aujourd’hui recevant ses notes plus qu’intimes!

A dire vrai, je n’avais pas cherché son mari, mais lui, si !  Il me voulait à coup sûr.  Ce fut ardu mais j’ai cédé. Comment avait-elle su que nous entretenions une relation? C’est une question à laquelle jusqu’à présent, je ne peux répondre. Etais-je à ce point transparente?

Survint sa maladie, douloureuse, triste.  Car, j’ai ouï-dire qu’elle était atteinte d’un cancer.  Au fond, je m’en réjouissais car j’allais enfin vivre en paix avec l’homme que j’avais appris à beaucoup aimer,  et qui jadis était le sien. Ils n’avaient rien en commun sinon que quelques biens. Pas d’enfants, donc aucun héritier. J’allais enfin goûter au bonheur de vivre dans cette maison basse avec ce si beau jardin.  A quelque chose, malheur est bon!  C’est l’ «autre» qui l’a dit, pas moi…

Je me trouvais déjà à l’hôpital et j’attendais justement la sortie des infirmières pour faire mon entrée magistrale dans la pièce bien éclairée.  Elles sortirent enfin et  je fis mon apparition.  Me voyant, elle fit un super effort pour tenter de s’asseoir.  Après plusieurs essais, elle comprit qu’elle ne pourrait pas, et s’abandonna au lit.  Je m’approchai le plus naturellement du monde et la salua cordialement.  Le cancer n’est pas transmissible, voyons!

Je pris une chaise et m’approchai du lit.  Elle me regarda et sourit.  Mais franchement, je n’avais que de la pitié pour elle. Défigurée par une perte considérable de poids, presque plus de cheveux, yeux enfoncés dans l’orbite, elle ressemblait à…non! J’ai peur du mot, je l’avale.

Après un court dialogue très plastique, elle ne tarda pas à me dire la raison essentielle pour laquelle elle m’avait fait chercher :

  • Edna! Joli prénom pour une jolie jeune fille ! dit-elle, luttant presque pour parler.
  • « Il y va sans dire, bon sang!?» répliquai-je intérieurement

Je ne sais pas si elle avait vu mes mines ou non, mais elle continua à me parler sur le même ton:

  • Tu trouves peut-être bizarre que je t’ai fait appeler. Tu te diras sans doute que c’est pour la première fois qu’une épouse ne fait pas d’esclandres malgré le fait qu’elle sait pertinemment que son assistante et son mari couchent ensemble? me demanda-t-elle, l’air plutôt satisfaite.
  • Bon euh…Madame Poireau… ce n’est pas ce que vous pensez… balbutiai-je maladroitement.
  • Ce n’est pas grave. Comme tu as pu le comprendre si facilement, je m’en foutais pas mal.  Mais il y a une chose absolument qu’il est temps pour toi de savoir à présent.  Je n’ai que quelques heures devant moi et ne pas te le dire serait cruel de ma part.

Elle prit une pause.  Elle n’avait que quelques heures, elle semblait sincère en le disant. Je sentis une vive douleur à l’estomac. Serais-je ainsi au soir de ma vie?  Seigneur! Vaut mieux mourir sous l’effet de projectiles… En plus, son mari l’avait quasiment abandonné aux infirmières. Il ne supportait pas ses tristes adieux peut-être…

Enfin, elle fut capable de me dire quelques mots additionnels :

  • Tu ne t’es jamais demandé pourquoi nous n’avions jamais eu d’enfants ?
  • Euh… Eric m’a dit que c’est parce que vous étiez stérile! (Merde ! je n’ai pas mentionné monsieur! Chuipps… m pa gen anyen poum kache ankò, li pral mouri! pensai-je, souriant quelque peu au fond de moi et luttant pour garder une mine sobre.

Elle releva mon écart de langage :

  • Depuis combien de temps as-tu cessé de mettre monsieur en citant son nom ?
  • Euh…
  • Tu peux garder la réponse. Je lui ai dit que j’étais stérile parce que je n’ai pas voulu que mes enfants souffrent de cette malédiction.
  • Ah, ce maudit cancer. Je vous plains, franchement.  Moi, j’aurai 3 enfants !
  • Oh! 3! De beaux projets!  Et tu envisages de les avoir avec mon mari surement?
  • Se avèw poum te genyen li? Gade figi fanm nan non? ») Je ne l’ai pas dit ainsi madame,  répondis-je à haute voix.
  • Je n’ai plus rien à perdre. J’ai un fils qui va avoir 18 ans, et il a une santé robuste ! Mais, je me demande si toi, tu auras vraiment le temps d’en avoir 3, puisque tu ne feras pas non plus long feu.
  • Et pourquoi dites-vous cela madame?
  • Vous souffrez de la même maladie que moi, Edna! prononça-t-elle alors que son visage s’illuminait.
  • De quoi voulez-vous me parler madame? Est-ce un jeu?  Je ne l’apprécie guère, continuai-je en fronçant les sourcils.
  • Je suis atteinte du VIH/SIDA. Et cette maladie notre mari nous l’a donné ! Voilà 10 longues années que je l’ai su et j’ai lutté jusqu’à aujourd’hui. Tu pensais avoir tout gagné, puisque tu voyais en moi une « manfouben ». Je ne t’ai rien dit, puisque je savais que tôt ou tard, tu allais avoir la monnaie de ta pièce.
  • Allez au diable!
  • Non, va faire le test et reviens vers moi pour t’excuser.

Je laissai la salle en courant, heurtant une infirmière sur mon passage. Je me suis excusée et je lui ai demandé de m’indiquer où je pourrais faire ce test. J’étais complètement abasourdie. Elle m’accompagna et l’effectua pour moi.  Elle ne tarda pas à avoir le résultat.  Elle le montra au médecin de ligne qui lui chuchota quelques phrases discrètement. Puis ils vinrent auprès de moi… ce fut le comble.

Je retournai dans la chambre…elle avait déjà rendue l’âme…

Depuis ce jour, ma vie fut d’une noirceur totale.  J’ai enfin compris pourquoi elle ne m’avait jamais rien dit. La marchandise était empoisonnée!  Je m’étais régalée dans le jardin de ma patronne et ma dentition en  était sortie gâtée… Je n’avais ni le courage de vivre avec une maladie qui me rongerait les veines ni avec une conscience lourde.

Alors, je préfère m’en aller et  ce, avec orgueil …

Maudit SIDA !

Valerie Mie Roodmie Lezin

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