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De « poto mitan » à « moteur »

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Dans son essence le terme « poto mitan » est juste et approprié. Il symbolise le rôle vital que joue la femme dans la constitution de la famille et de la société. Bien qu’elle demeure patriarcale, la société haïtienne fait un effort pour chanter et honorer les efforts souvent surhumains de ses chères « poto mitan », nos femmes !

Entre les campagnes anti-viols, les spots publicitaires contre les violences faites aux femmes, les débats autour de la prostitution, la femme haïtienne est presque systématiquement présentée comme une victime du collectif sociétal. Il existe donc un certain paradoxe entre le symbole et le message véhiculé. Bien entendu, l’importance de ces campagnes ne doit pas être minimisée, car elles mettent le doigt sur des problèmes immédiats et réels. Et, ces injustices subies chaque jour par la femme haïtienne doivent être effectivement dénoncées et adressées.

Cependant, la représentation de la femme haïtienne en tant que « poto mitan » en prend un coup, car elle devient alors celle d’un pilier endommagé, branlant et instrumentalisé, donc affaibli. D’un point de vue symbolique, je crois qu’on gagnerait à passer du caractère statique du symbole de poteau à celui de moteur, qui lui traduit plus fidèlement le dynamisme de la femme haïtienne du 21siècle. Ou peut-être devrait-on les utiliser de manière parallèle.

Nous assistons de plus en plus à une féminisation de certains secteurs clés de notre société, un phénomène qui en plus d’être positif est rafraichissant. En effet, les femmes haïtiennes s’imposent progressivement dans plusieurs domaines du quotidien. Elles dirigent nos banques, nos hôpitaux, nos grandes entreprises, etc. Malgré tout, on ne peut s’empêcher de sentir qu’assez souvent cette féminisation est restreinte à un certain niveau. Le filtre social laisse passer des échantillons de femmes à des positions clés, ce qui donne l’impression d’une égalité des chances entre femme et homme. De façon superficielle, il est difficile de voir ces incohérences. Au fond, cependant, d’énormes contradictions subsistent dans le rapport entre la quantité de femmes instruites « produites » chaque année par notre système éducatif et la quantité de femmes professionnelles en position d’influence dans le pays.

Considérons les écoles congréganistes, jusqu’à présent évaluées comme faisant parties des meilleures en Haïti. Dans la zone métropolitaine de Port-au-Prince, nous n’en recensons que deux qui soient exclusivement masculines, soient l’institution Saint Louis de Gonzague et le Petit Collège Saint Martial. Parallèlement, nous comptons au moins six qui sont exclusivement féminines: les institutions du Sacré-Cœur et de Sainte Rose de Lima, les collèges Saint François D’Assise, Marie-Anne, Saint-Louis de Bourdon et Cœur Immaculé de Marie (CIM). Beaucoup d’écoles haïtiennes sont des établissements d’enseignement de qualité, dédiés en exclusivité à l’éducation de nos jeunes femmes.

Par ailleurs, les jeunes femmes réussissent très bien, comparées aux hommes dans nos universités et ces constats sont cohérents avec ceux qui se font ailleurs dans le monde. Aux États-Unis, en 1970, seulement 9% du total des diplômes universitaires décernés aux étudiants de premier cycle étaient remis à des femmes. En 2001, ce ratio s’établissait à 50% et en 2013, il atteignait 60%. Au fur et à mesure, sans que nous nous en apercevions, les femmes ont pris leur place dans les écoles et dans les universités. Les chiffres pour Haïti ne sont pas disponibles. Mais, il saute aux yeux que depuis les deux dernières décennies nous formons beaucoup plus de jeunes femmes professionnelles.

Pourtant, en Haïti, que ce soit dans le secteur privé ou public, trop peu de femmes occupent des postes de décision. Le plafond de verre qui place nos femmes en marge des postes décisionnels doit être combattu. En tant que société nous sommes trop lents non seulement à accepter mais surtout à nous habituer à voir des femmes en position de pouvoir. Le problème est fortement ancré dans notre culture et il nous faut y livrer bataille ouvertement; non seulement parce que le système lui-même est injuste, mais aussi parce que avoir la bonne personne à la bonne place est une règle d’or pour le succès du collectif. Quand un poste est refusé à une femme par le simple fait qu’elle en est une alors que ses compétences répondent aux exigences du poste à pouvoir, nous sommes tous perdants. Le combat pour éliminer le plafond de verre n’est donc pas que celui des femmes, mais le nôtre. Dans une société où les vraies compétences sont rares, nous ne pouvons accepter qu’elles soient mises à profit de façon si peu optimale.

Mais ce problème n’est pas unidimensionnel. Les femmes, surtout les jeunes professionnelles, doivent comprendre que ce plafond existe et elles doivent se battre pour l’éliminer. Et « se battre » ne veut pas nécessairement dire former des groupes dont la mission est de défendre les droits des femmes, « se battre » veut surtout dire s’impliquer dans le secteur des affaires, dans l’économie, dans la sphère publique et dans la société en général. Les jeunes femmes professionnelles haïtiennes constituent un atout trop peu exploité en Haïti. Nous tirerons tous les bénéfices de l’inclusion des femmes à tous les niveaux de notre société.

Dans la cellule familiale nous aurons toujours besoin de nos chères « poto mitan ». Mais, maintenant plus que jamais Haïti a besoin de ces « moteurs » pour nous propulser vers l’avant. Le dynamisme de la femme éduquée doit être au centre de la renaissance d’Haïti. Et pour se faire cette nouvelle génération de professionnelles doit se mettre en tête que les rênes du pays ne lui seront pas offertes. Elles devront s’en accaparer. Donc, impliquez-vous mesdames. N’ayez pas peur de briser ce plafond de verre qui avant d’être sociétal est souvent psychologique.

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Directeur Général | Co-fondateur | J'aime me considérer rationnel et mesuré avec une vision semi-ouverte du monde. J'ai un baccalauréat en finance. Je m'intéresse au Barça, à la politique, à l'entrepreneuriat et à la philosophie.

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