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Critiques sur le dernier sondage du BRIDES

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Réaliser des sondages électoraux en Haïti devient, depuis quelques années, très récurrent. Ils sont commandités par des candidats ou des personnes anonymes et généralement réalisés par des firmes de consultation expertes en la matière.

Dans ce domaine, le Bureau de Recherche en Informatique et en Développement économique et Social (BRIDES), est l’une des firmes haïtiennes ayant produit le plus de sondages électoraux. Son dernier en date, réalisé entre le 28 septembre et le 1er octobre 2016, a provoqué  beaucoup d’interrogations au niveau médiatique et des cercles intéressés de la société civile. Ce qui nous a incités à consulter le document « Cartographie électorale et Politique du BRIDES Élections 2016″. Troisième Sondage national d’opinions renseignant les citoyens et citoyennes sur les possibilités de vote pour des candidats à la présidence, au sénat et à la députation aux prochaines élections. Ce sondage mené du 28 septembre au 1er octobre 2016 » est celui qui a poussé à rédiger cet article.  Nous mettrons en exergue quelques faiblesses techniques décelées au niveau dudit document.

Rappelons, tout d’abord, qu’un sondage électoral est un cas particulier de sondage d’opinion (ou encore enquête d’opinion), lequel est une application de la technique des sondages sur un groupe humain visant à déterminer les opinions (ou les préférences) probables des individus le composant, à partir de l’étude d’un échantillon de cette population. Cela dit, comme toute étude scientifique, le sondage électoral a ses limites et peut évidemment contenir certaines failles ou faiblesses techniques.

Au niveau dudit document, en parlant de faiblesses, il y a lieu de mentionner et d’analyser ce qui suit :

  1. Aucune précision sur la méthode de choix des Sections d’Énumération (SDE)

Nulle part dans le document, le BRIDES n’a indiqué la méthode utilisée pour choisir les 476 SDE où les personnes ont été interviewées. Cette information est pourtant très importante, car le choix des SDE est le premier niveau d’échantillonnage utilisé par cette firme pour mener son sondage.

Mal choisir les SDE revient à avoir un échantillonnage biaisé dès le départ. Alors, pourquoi n’y a-t-il aucune précision sur la façon dont ce choix a été fait ?

  1. Choix des circonscriptions comme le plus bas niveau de représentativité et marge d’erreur de plus de 10%

Le choix du nombre de personnes à interviewer est fait sur la base des circonscriptions électorales. En effet, le document a précisé ce qui suit : « L’échantillon est constitué de 13614 à raison environ de 100 personnes par circonscription électorale constituée d’une seule commune et environ 150 pour des circonscriptions électorales constituées de 2 ou 3 communes ».

Ce choix comporte plusieurs problèmes majeurs.

Premièrement, le choix n’ayant pas été réalisé sur la base du nombre d’électeurs par circonscription induit des taux d’erreur élevés (plus de 10%) au niveau de chaque circonscription. Or, un sondage avec plus de 10% d’erreur n’est vraiment pas précis.

Si des intervalles de confiance sont réalisés pour chaque candidat avec cette marge d’erreur pour les résultats des candidats à la députation, des candidats au sénat et des candidats à la présidence au niveau de chacune des circonscriptions, il sera très difficile de savoir où un candidat dépasse réellement un autre dans une circonscription. Par exemple, le candidat A obtient 30% des intentions de vote et le candidat B 13% au niveau de la circonscription X avec 10% comme marge d’erreur signifie que le candidat A possède une marge des intentions de vote réelles entre 20% et 40% et le candidat B entre 3% et 23%. Donc, il se peut que le candidat B possède, en réalité, plus de partisans qui vont le voter que le candidat A si le vrai pourcentage pour le candidat A est 21% et le candidat B 22%, tous compris dans l’intervalle de confiance des deux candidats.

Deuxièmement, le nombre de personnes interviewées au niveau de chaque département devient fonction du nombre de circonscriptions que comporte le département et non du nombre d’électeurs potentiels au niveau du département. Ainsi, le Nord a eu beaucoup plus de personnes interviewées que l’Artibonite alors que ce dernier a presque deux fois plus d’électeurs potentiels que le département du Nord[1].

  1. Inadéquation entre la formule utilisée pour déterminer l’effectif des individus et le nombre de SDE au niveau de chaque circonscription électorale.

Au niveau de la méthodologie, il est écrit que : « d’abord l’échantillon est constitué de 13614 à raison environ de 100 personnes par circonscription électorale constituée d’une seule commune et environ 150 pour des circonscriptions électorales constituées de 2 ou 3 communes. Ensuite, les ménages ont été choisis au sein des SDE à raison de 25 par SDE ». Les 13614 ménages ont donc été tirés de 476 SDE (4*119).

Ce qui est anormal !

Cette formule marche effectivement pour  une circonscription électorale constituée d’une seule commune (100 ménages =25ménages/SDE * 4 SDE), par contre ce n’est pas le cas pour les circonscriptions composées de 2 à 3 communes (150 ménages ≠ 25 ménages par SDE * 4 SDE).

De fait, la formule du nombre total de SDE retenu devrait être :

Z=4*X+6*Y

Avec :

Z : Nombre de SDE retenus

X =Nombre de circonscriptions avec une seule commune

Y = Nombre de circonscriptions avec 2 ou 3 communes

On aurait eu plus de 476 SDE au total si effectivement 25 ménages étaient choisis par SDE.

  1. L’unité statistique choisie et la méthode de tirage

 «  Au sein de chaque ménage, une personne de 18 ans et plus est choisie au hasard suivant la méthode de Kish ».

Le ménage est donc choisi comme unité de base de l’échantillonnage. En choisissant une personne par ménage, le chercheur déduit-il de manière implicite que le choix de cette personne représente celui du ménage ? Or dans la société haïtienne, aucune étude, à notre connaissance, n’a permis de conclure qu’à l’intérieur d’un ménage, le choix, lors des élections, est uniforme.

De plus, en appliquant la méthode de KISH pour tirer un individu au sein des ménages sélectionnés, à l’intérieur d’une même SDE, la probabilité qu’un potentiel électeur soit interviewé est fonction du nombre de personnes éligibles dans son ménage. Les potentiels électeurs n’ont donc pas la même probabilité d’être tirés.

Par exemple, la probabilité de tirer un individu éligible au niveau d’un ménage avec 2 personnes éligibles est de 1/2, or dans un ménage avec 5 personnes éligibles, il est égal à 1/5.

Il n’est donc pas trop commode d’utiliser les résultats de ce sondage pour extrapoler sur la population des potentiels électeurs. Il n’est même pas possible de l’extrapoler sur la population des ménages.

  1. Taux de Participation et taux de détention de carte électorale

Considérant les tableaux 5 et 6 du document en question, le taux de détention de carte électorale et le taux de participation aux élections à venir sont respectivement de 98.6% et de 96.2 %.

Tandis que :

–          D’une part, au sein de la population totale, au regard des élections du 25 octobre 2015, le taux de participation tournait autour de 30% à 32.5%, selon l’Organisation des États Américains (OEA)[2] et l’Observatoire Citoyen pour l’Institutionnalisation de la Démocratie (OCID)[3] ; Faire un bond à plus de 95% de participation relèverait du miracle, compte tenu des taux habituels de participation.

–          D’autre part, le taux de détention de carte électorale en Haïti est d’environ 86.5%. En effet, selon les données disponibles sur le site de l’Office Nationale d’Identification (ONI), 5,447,111 personnes ont une  carte et la population âgée de plus de 18 ans selon l’Institut haïtien de Statistique et d’Informatique (IHSI) est de 6,296,351.00.

Ce qui montre une fois de plus qu’il existe des biais considérables au niveau de l’échantillon tiré.

CONCLUSION

En dépit de ces faiblesses constatées, ce sondage présente des données qui peuvent être exploitées et utilisées avec beaucoup de précautions. De plus, conscient que les statistiques deviennent de nos jours, un outil incontournable dans les prises de décisions, réaliser des sondages électoraux est une initiative à encourager !

De fait, il serait très intéressant que d’autres firmes évoluant dans ce domaine organisent elles aussi des sondages avec des méthodologies plus appropriées.

Radjiv Thaylor ZEPHIRIN  & Pierre Philippe Wilson REGISTE

Image: Andres Martinez Casares/Reuters

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