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Combien vaut une vie dans nos TapTaps?

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Le rôle de l’Etat

Le sens premier de la politique, selon l’origine grecque de la chose, c’est la gestion de la polis (ou de la cité). On n’est plus au temps grec des Cités-États, mais cette essence-là ne change pas. Diriger une population c’est assurer l’ordre et le droit, puis lui garantir un minimum vital:

. La nourrir

. L’éduquer

. La loger

. La transporter

. L’embaucher

. La sécuriser

Ceci, pour n’en rester qu’au strict minimum. Haïti faillit à la mise en place d’une politique de transport cohérente.

Absence d’un  système de transport 

Si la première République Noire est un État en faillite, l’une des preuves les plus palpables de ce qualificatif accablant est l’absence d’un système routier ou d’un système de transport tout court.

Un peu partout dans le pays, la manière dont on transporte les haïtiens fait pleurer les gens au cœur tendre habitués à un système de transport respectable. C’est absolument contraire à la notion la plus minimale de Dignité Humaine. Mais dommage, dignité est un vain mot dans ce pays où depuis des siècles la majorité écrasante vit comme des bêtes, sous le regard hautain des élites prétentieuses, inconscientes, sans cœur ni vision.

Des taptaps qui tuent 

Le vendredi 04 novembre 2016, comme je gardais les enfants à la maison, à Fort-Liberté, une voisine est venue me demander si j’ai des nouvelles de ma femme qui était allée à la ville du Cap, car un taptap venait d’avoir un accident à Malféty, localité situé  à 15 minutes de Fort-Liberté. Durant les minutes qui ont suivi la nouvelle j’ai appelé ma femme je ne sais plus combien de fois sur ses deux numéros. Sans succès. Ça faisait moins d’une heure que je lui avais parlé, elle faisait encore des courses en ville. Logiquement elle ne devrait pas être dans ce taptap. Mais je n’en étais pas si sûr. Et si elle devait perdre sa vie? Comment élever sans elle nos deux petits bouts de choux? Impossible.

Trêve d’inquiétude, mon portable vient de sonner. Ma femme est en vie. Elle n’était pas dans l’accident. Je ne vais pas élever mes garçons sans elle. Du moins, pas tout de suite. Son cercueil roulant, son taptap, va démarrer sous peu. Je prie pour qu’elle arrive saine et sauve. Et quand elle arrive elle me confirme qu’un taptap et un autobus ont eu un accident vers Malféty, faisant au moins 8 morts.

Les éternelles victimes 

Tout de suite elle pense à toutes ces femmes qui vivent au jour le jour, tirant le diable par la queue pour joindre les deux bouts. Les « madan sara », les marchandes ambulantes, les pères et mères de famille « kap bat dlo pou fè bè nan ganmèl lamizè » dans un pays où nous tous sommes exploités, abusés et abandonnés. Cet accident laissera derrière elle 8 familles éplorées, ruinées, abattues…

Absence de politique de transport 

Et moi je songe à ces véhicules morts et enterrés aux USA qui ressuscitent dans notre savane de pays, à ces chauffards qui s’improvisent conducteurs sur la voie publique, ces agents de l’ordre passifs ne sachant pas trop ce qu’ils font sur la voie publique, cette population dont les droits fondamentaux sont foulés par nos pseudo-dirigeants. Je songe à cette population qui ne sait pas le prix de la vie, et qui, n’ayant pas le choix, s’expose sans cesse dans des taptaps. Pickups construites pour transporter des choses mais qui chez nous transportent de la CHOSE HUMAINE, méprisant les fondements même de la sécurité routière, du droit à la santé et du droit à la vie. De Gorée, en Afrique, au 16ème siècle; à Fort-Liberté, en Amérique, au 21ème siècle; plus de 500 ans que la majorité de toute une population vit  comme des choses et est transportée comme des choses.

Trop, c’est trop

C’est carrément inacceptable qu’au 21ème siècle, avec toute la technologie disponible, et toutes les stratégies économiques pour faire des projets dans le secteur routier, avec toutes les avancées en matière de sécurité routière; que des citoyens continuent à perdre leur vie dans des conditions aussi banales et pour des raisons aussi ridicules.

Il est temps de sortir de ce Moyen-Âge institutionnel et sociétal. On ne peut plus continuer à transporter des citoyens, précieux agents économiques, payeurs de taxes et pourvoyeurs de richesse, dans des conditions qui facilitent leur mort. Ayons un peu d’égard pour la vie. Respectons la Dignité Humaine!

 

Junior MESAMOURS

Sc Po, L3, campus de Limonade

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