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Combien a coûté le soutien d’Haïti à l’Espagne ?

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Les déclarations du président haïtien sur la crise catalane contrastent avec l’histoire et la position historique d’Haïti dans les luttes pour la liberté et l’indépendance. La République dominicaine, avec des intérêts économiques importants en Espagne et une histoire plus rapprochée de son ancienne métropole reste moins exalté sur la question. Qu’est-ce qui peut bien justifier cette fougue Haïtienne?

 

En juin 2017, le président catalan réputé séparatiste, Carles Puigdemont, annonce la tenue d’un referendum d’autodétermination qui se tiendrait le 1er octobre de la même année. Un processus refusé par Madrid et ouvertement critiqué par le chef du gouvernement espagnol, Mariano Rajoy. Le 6 septembre le parlement catalan, malgré le désaccord de Madrid, poursuit le processus du référendum et adopte la loi l’organisant. Le 1er octobre le peuple catalan prend les chemins des urnes, mais le processus est fracassé par les interventions brutales de la police judiciaire espagnole. Les Catalans ont voté à 92% pour l’indépendance de la région. Cependant ces chiffres doivent être pris avec des pincettes car seulement 42% de l’électorat a participé au référendum, et la grande majorité des catalans contre l’indépendance, ont volontairement refusé de participer au referendum considéré illégal par le gouvernement espagnol. Le 27 octobre, le parlement catalan, majoritairement séparatiste, déclare la catalogne indépendante. Le lendemain, le gouvernement espagnol met la région catalane sous tutelle. Situation complexe…

Dans ce miasme hispano-catalan, le gouvernement haïtien, via la présidence et le ministère des Affaires Etrangères, prend une position tranchante contre l’indépendance catalane. Une décision en désaccord avec la culture diplomatique haïtienne. Sur son compte Twitter, le Président Jovenel Moïse a entamé sa série de déclarations par un message vague ne laissant transparaitre sa position qu’en pointillés: « Nous sommes préoccupés par la crise que connaît actuellement l’Espagne. Nous espérons que celle-ci pourra être surmontée par le dialogue ». A part son silence sur la crise politique locale, ce tweet n’avait rien de controversé. Mais deux jours après, le 26 octobre, la position du président exprimé encore sur Twitter est franchement partisane : « Nous appuyons une Espagne forte, stable et solidaire. »


Le 29 octobre 2017, le Ministère des Affaires Etrangères, officialise la position du gouvernement à travers une note de presse dans laquelle il « déplore le vote de la déclaration d’indépendance unilatérale de la Catalogne par le parlement de cette région ».

 

 

La République dominicaine plus modéré que Haïti

La position dominicaine est aussi pro-espagnole, elle a été néanmoins moins tranchante que la nôtre. « Une Espagne unie, sans fissures ni altérations de la légalité dans laquelle les régions autonomes sont protégées, sera toujours le meilleur allié et ami de notre pays », a déclaré le chancelier dominicain, Miguel Vargas. Jusqu’à présent, le président dominicain ne s’est pas prononcé sur la crise espagnole, contrairement à M. Moïse. Les derniers tweets du président Medina remontent au 22 octobre et concernent la mise en place d’un programme de développement de l’agroforesterie.

Qu’est ce qui explique ce zèle du côté haïtien alors que les intérêts dominicains sont beaucoup plus importants en Espagne que les nôtres? La République Dominicaine a exporté près de 160 millions de dollars de produits et de services vers l’Espagne en 2016, alors qu’Haïti n’est même pas listé parmi les pays qui exportent vers l’Espagne. Haïti a par contre importé pour une valeur de 29.5 millions de dollars de l’Espagne en 2016. La position dominicaine, plus mesurée que la nôtre, est justifiée tant par l’importance de ses échanges commerciaux avec l’Espagne que par les liens culturels unissant les deux pays.

Depuis 1991 nous entretenons des relations diplomatiques avec l’Espagne qui s’était impliquée dans l’aide humanitaire post-12 janvier. L’implication la plus conséquente en Haïti de l’Espagne est son financement de la DINEPA et l’aide apportée à la pêche dans le sud-est. L’année dernière, le premier secrétaire de l’ambassade d’Espagne en Haïti, Sergio Cuesta Francisco rappelait dans les colonnes du quotidien Le Nouvelliste que «Le plus grand support financier de la DINEPA vient de l’Espagne.» L’Espagne a en effet apporté 155 millions de dollars en 2016 à la DINEPA.

Quel est donc le prix du symbole de la liberté ?

Avec une culture, une langue et une histoire distinctes, le désir d’autodétermination du peuple catalan est, au moins, compréhensible. De par le poids historique de son indépendance, comment donc le gouvernement d’Haïti peut être aussi violemment opposé à la volonté d’indépendance d’un peuple ? « Haïti » contre l’indépendance d’un peuple a presque une allure de reniement de soi-même. Si symbole nous sommes, le rôle d’Haïti n’est pas d’intervenir dans les conflits entre peuples pour encourager ou de décourager séparation ou union.

Alfred Auguste Nemours

« Gardons-nous cependant que l’esprit de prosélytisme ne détruise notre ouvrage ; laissons en paix respirer nos voisins, qu’ils vivent paisiblement sous l’empire des lois qu’ils se sont faites, et n’allons pas, boutefeux révolutionnaires, nous ériger en législateurs des Antilles », s’est exprimé, prudent et réaliste le fondateur de la nation, Jean Jacques Dessalines. C’est aussi notre libérateur qui s’était écrié : « Pauvres Martiniquais, que ne puis-je voler à votre secours ! » après avoir aidé Miranda pour l’indépendance du Venezuela. Pétion a définitivement installé la ligne doctrinale d’Haïti en faveur de la liberté et de l’autodétermination des peuples par l’aide bien connue apportée à Bolivar pour la libération et l’indépendance du Venezuela. C’est ainsi que le gouvernement de Geffrard soutint victorieusement les indépendantistes dominicains de 1861 à 1863 contre leurs compatriotes qui avaient livré la République Dominicaine à l’Espagne. Plus récemment, en 1941, Haïti avait plaidé en faveur de l’indépendance de l’Ethiopie face à l’Italie fasciste. La célèbre phrase du délégué haïtien Alfred Nemours sur la question Ethiopienne résuma en peu de mots la ligne diplomatique haïtienne depuis 1804 : « Que vous soyez grand ou petit, fort ou faible, éloigné ou proche, noir ou blanc, craignez d’être un jour l’Ethiopie de quelqu’un. »

Cette longue cohérence diplomatique a été tristement hachée le 29 novembre 2012 lorsque Haïti a s’est abstenu sur la résolution accordant à la Palestine le statut d’un «Etat Observateur non membre» des Nations Unies.

Le symbolisme a une valeur, et dans l’ère ultralibérale actuelle il ne faut pas se gêner de penser ou de dire que le symbole a un prix. Sous-exploitée, mal-utilisée, souvent ignorée de ses propres filles et fils, Haïti revêt tout de même une valeur symbolique liée à la liberté. Le geste fondateur qu’ont achevé nos ancêtres en 1804 en se libérant et se déclarant une république indépendante, s’inscrit au sommet du patrimoine des symboles de l’humanité malgré notre pitoyable gestion de ce joyau immatériel.

La liberté, ne devrait-elle pas être la pièce maitresse de la marque « Haïti »? La question est légitime, et une réponse qui s’appuie sur le simple fait que notre destin et notre histoire de peuple ne nous permettent pas de nous revêtir d’une toile autre que celle de la liberté est aussi légitime. Notre histoire porte un poids symbolique parce qu’elle est unique, atypique et avant-gardiste. Y a-t-il symbole plus fort d’indépendance et de liberté que celui du peuple destiné à être esclave par toutes les forces étatiques, institutionnelles, sociétales, économiques et religieuses, qui réussit malgré tout à prendre de force son indépendance ? Il faut donc que les dirigeants haïtiens et le peuple haïtien prennent conscience du symbole que représente Haïti afin de l’utiliser à sa juste valeur pour contribuer à l’avancement du pays et du monde.

La diplomatie est toujours faible quand elle n’est pas soutenue par une puissance militaire ou économique. Mais la faiblesse due au manque de ressources matérielles se relativise quand un pays s’arme de symbole fort. La liberté et le principe de l’autodétermination des peuples est le symbole fort de notre présence sur la carte mondiale. Il est donc malheureux pour Haïti quand ses dirigeants se démarquent de cette ligne. Tout en reconnaissant le droit des Etats à lutter pour leur unité, Haïti n’a pas non plus le droit de ne pas comprendre la volonté d’indépendance d’un peuple. La Catalogne ou la région basque en Europe, le Kurdistan ou la Palestine, comme d’ailleurs Israël, la Tchétchénie doivent toujours espérer un coup d’œil sympathique de la part d’Haïti.

Dessiner d’une encre indélébile une Haïti fondamentaliste scotché aveuglément à ses idéaux de liberté est irréaliste. Mais il est aussi irrévérencieux, au nom de la realpolitik, de salir une statue qui malgré tout porte un symbolisme valant beaucoup plus que quelques millions de dollars.

Jetry Dumont

 

Directeur Général | Co-fondateur | J'aime me considérer rationnel et mesuré avec une vision semi-ouverte du monde. J'ai un baccalauréat en finance. Je m'intéresse au Barça, à la politique, à l'entrepreneuriat et à la philosophie.

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