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Ce féminisme au service du sexisme

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Ce serait historique. Les États-Unis pourraient élire en 2016 leur première femme présidente. Après 44 chefs d’État, tous hommes, ce « serait un sacré changement » insiste Hillary Clinton. L’ancienne première dame sous la présidence de Bill Clinton (1993 –2001) et secrétaire d’État dans l’administration de Barack Obama (2009 –2013) est la seule femme en lice pour le parti démocrate et pour l’ensemble de ce processus présidentiel après l’abandon de Carly Fiorina, candidate aux primaires du parti républicain.

Présentée il y a un an comme l’inévitable candidate de son parti, Hilary Clinton est talonnée de près dans ces primaires par le « démocrate socialiste » Bernie Sanders. Cet ancien sénateur a créé la surprise dans l’Iowa en décrochant une quasi-égalité que beaucoup pensaient utopique il y a encore quelques mois (Clinton 49,9 % – Sanders 49.6 %).

Une semaine plus tard, celui qui dit mener une campagne notamment contre l’establishement, pour la régulation de Wall Street et la réduction des inégalités économiques fait l’histoire à New Hampshire en devenant le premier juif à avoir gagné une primaire aux États-Unis. Il a écrasé Hilary Clinton au score de 60,4 % à 38 %. Le seul autre candidat du parti à avoir battu son adversaire à New Hampshire avec un score aussi important est John Kennedy en 1960.

Adulé par les jeunes et les femmes, ce septuagénaire caracole à plus de 80 % dans des sondages auprès de la première catégorie. 55 % des femmes ont voté pour lui à New Hampshire contre 44 % pour sa rivale. L’enthousiasme créé par sa campagne n’est pas de nature à plaire à certains féministes qui supportent Hilary Clinton. Deux d’entre eux ont d’ailleurs fait des sorties médiatiques ayant choqué même dans leurs propres camps.

La première vient d’un personnage qui a su briser le plafond de verre pour devenir la première femme secrétaire d’État aux États-Unis sous la présidence de Bill Clinton. Madame Madeleine Albright a déclaré samedi 6 février lors d’un événement de soutien à Hilary Clinton « qu’il y a une place spéciale en enfer pour les femmes qui ne soutiennent pas les femmes ».

Deux jours avant, Gloria Steinem, une militante historique pour les droits des femmes a martelé à la télévision en faisant référence aux jeunes femmes qui votent pour Bernie Sanders : « Quand vous êtes jeune, vous vous demandez où sont les hommes, et les hommes sont avec Bernie… ».

Nombreux sont ceux qui ont été offusqués par ces déclarations. Un responsable de la campagne de Clinton a même avancé l’idée que la candidate fasse savoir son désaccord avec des propos sexistes qui potentiellement peuvent être contre-productifs dans une perspective de reconquête du vote des jeunes et des femmes. En réponse, Hillary Clinton a défendu Albright arguant qu’« on est choqué par toutes sortes de choses ces jours-ci ».

Une place spéciale en enfer pour les femmes qui ne soutiennent pas les femmes

Même plaidant l’humour, l’ancienne secrétaire d’État aura du mal à justifier cette petite phrase qu’elle a d’ailleurs répétée en 2008 alors que Hilary Clinton était face à Barack Obama. Dire qu’il y a une place en enfer pour les femmes qui ne voteraient pas Clinton implique d’abord l’idée que s’agissant de choisir, les « vraies femmes » doivent obligatoirement jeter leur dévolu sur la gent féminine. Celles qui se sont battues pour avoir le droit de voter il y a moins de cent ans aux USA voient corollairement leurs possibilités de choisir s’amenuiser puisque toujours, elles devraient voter aveuglément les femmes, quelle que soit la condition, quel que soit le programme politique.

En plus de restreindre drastiquement leurs choix, ce commentaire implique aussi l’idée qu’être femme, le genre, importe plus qu’être citoyenne libre et consciente des enjeux de sa société et du monde. La réflexion, le débat, la position intellectuelle par rapport à diverses offres politiques proposées seraient secondaires devant cette fatalité qui est d’être femme. Je suis femme avant toutes choses, je vote femme, le reste importe peu. J’aimerais savoir si madame Albright garderait sa position en face d’une candidate féminine ouvertement réactionnaire et dont la politique promettrait de rendre caduc des décennies de luttes pour le droit de celles-ci.

La position de madame Steinem est encore pire. Insinuer que les femmes qui votent Bernie Sanders le font parce que les hommes sont avec le sénateur est aussi soutenir subrepticement qu’au 21e siècle, les Américaines pensent plus avec leur « antre du plaisir » qu’avec leur matière grise. À l’idée que les femmes sont incapables de déceler avec réflexion et raison leurs propres intérêts, elle y a ajouté l’insulte et le mépris pour celles dont plusieurs disent voter Sanders pour le renouveau qu’il apporte dans la politique américaine et ses idées progressistes. À la décharge de Steinmen, elle a publié des excuses sur Facebook. Elle y affirme que les femmes sont plus engagées et plus sérieuses que jamais en politique qu’elles votent pour Bernie ou pour Hillary.

Il est difficile de ne pas mettre ces propos en relief avec ce qui se dit en Haïti. Pour expliquer le peu de représentation des femmes en politique, l’argument qui revient souvent dans la bouche de certains féministes est aussi que les femmes ne voteraient pas femme. C’est à se demander s’il IMPORTE pour ces militants qu’après le sexe féminin la femme ait une vision du monde, un programme politique fédérateur, une stratégie de campagne professionnelle ou même la compétence nécessaire pour prétendre au poste.

Rappelons nous ces mots de Simone de Beauvoir : « La femme n’est victime d’aucune fatalité : il ne faut pas conclure que ses ovaires la condamnent à vivre éternellement à genoux ». Alors, au travail !

Widlore Mérancourt est éditeur en chef d’AyiboPost et contributeur régulier au Washington Post. Il détient une maîtrise en Management des médias de l’Université de Lille et une licence en sciences juridiques. Il a été Content Manager de LoopHaïti.

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