ART & LITERATURECULTURE

Bob Dylan – Prix Nobel : Mort de la littérature ou la littérature vers de nouvelles voies?

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La chose a été vécue par plus d’un comme une grande surprise. L’Académie Suédoise a choisi de récompenser, en ce début d’octobre, le musicien et poète américain Bob Dylan. Ce prix Nobel de littérature aurait une signification bien particulière: saluer la création de nouveaux modes d’expressions poétiques dans la musique américaine. Mais ce qui choque le plus le milieu littéraire classique, c’est que Bob Dylan n’est pas homme de lettres. Il n’a jamais fait métier de romancier. Monsieur n’est pas, à proprement parler, écrivain. Le terme  »écrivain » ici peut poser problème. N’est-il pas à remettre en question? Bref… quel sens donc peut avoir cette récompense octroyée à Bob Dylan? S’agit-il d’une  »idée noble » de lui donner le prix Nobel de littérature? La question n’est pas vraiment ou simplement là. Le  »Nobel-Bob Dylan » permet de s’interroger sur autre chose: une littérature qui ne cesse de se déplacer vers d’autres voies, d’autres lignes nouvelles. Mais ici, la traditionnelle question  »qu’est-ce que la littérature? » est encore bien actuelle et présente dans nos murs. Que veut donc dire une littérature sans terrain? Sans lieu? À écouter certains écrivains, la littérature est déjà en phase de son dépérissement final. Mort de la littérature, disent d’aucuns. Au fond, que peut vouloir dire cette récompense? Quel est son impact sur le devenir de la littérature? Serait-ce la consécration formelle de la mort de la littérature, d’une manière de faire littérature? Ou bien s’agit-il d’un déploiement ou d’un élargissement continu de la littérature vers d’autres voies? Mais, en fait, la littérature, n’a -t – elle pas toujours été un  »non-lieu »?

Ici, notre intention est de comprendre le sens de la stupéfaction de certains écrivains et critiques qui voient déjà, dans cette distinction, une mort évidente de la littérature (I), et d’envisager le prix Nobel-Dylan comme l’expression d’une idée de la littérature qui se traduit par un lieu qui se cherche et qui s’achemine toujours et toujours vers d’autres lieux, d’autres voies (II).

 

I.- Un coup terrible et mortel à la littérature… ?

C’est la sensation que dégage Makenzy Orcel, écrivain haïtien. C’est, dit-il, un   »coup dur pour la littérature » tout en ajoutant que  »c’est le mot littérature qui pose problème, ce n’est même pas Dylan lui-même. Parler de littérature, c’est parler de travail sur la langue, de construction d’une œuvre, pas de nasiller quelques chansons. Dylan, c’est pas mal, mais il s’agit là du Prix Nobel de littérature ! Qui a consacré Camus, García Márquez, Octavio Paz, Saramago. Le monde chute ! Quel est le message ? La poésie pour l’oreille ? Mais la poésie, c’est pour les yeux, la tête, tout le corps, l’âme, pas pour l’oreille ». Acerbes, ces critiques veulent faire comprendre que la littérature, dans son état historique actuel, est en train de connaitre, dans l’univers socio-culturel contemporain déjà éclaté et élargi, son moment de fièvre mortelle intense. Comme quoi le Nobel-Dylan serait simple témoignage d’une pure négation de la littérature. Bob Dylan, ce vieux compère quand même étranger au champ littéraire! Telle est la perception! Cela ne peut être qu’une grave insolence d’octroyer le prix à un étranger de l’univers du livre!!! On pourrait ainsi se questionner sur la dimension du pouvoir dans l’acte de fabrication du livre ou sur le  »comment le livre est vécu comme un lieu de pouvoir ». En tout cas, c’est pas le livre qui a été récompensé chez les académiciens suédois, mais un homme de paroles et de chansons. Pierre Assouline, écrivain membre de l’Académie Goncourt, ne cache pas sa colère.  »Lui attribuer le Nobel de littérature, c’est affligeant », a dit le romancier.  »J’aime Dylan, mais il n’a pas d’œuvre. Je trouve que l’Académie suédoise se ridiculise. C’est méprisant pour les écrivains », rajoute-t-il. Le livre perd donc de son territoire, autrement dit de son pouvoir. Et c’est ce qui parait inquiétant dans un contexte où le monde lit très peu ou presque pas. Ce n’est donc pas un prix Nobel qui favorise la lecture, disent certains. C’est aussi la vieille tension entre écriture et oralité qui refait surface. Mais, et si la voix serait considérée comme composante du corps du texte. Et si la voix est ce dispositif qui donne forme et vie aux règles. Et si Dylan est cette expression de la mise en scène de l’écriture et de la lecture, qui n’est autre qu’une dimension de la richesse de la littérature. La définition de la littérature, n’est-elle pas aussi dans sa non-définition? La littérature, n’est-elle pas cet idéal de la vie commune qui se cherche en culbutant entre écriture et parole vivante? Si une certaine règle de la littérature supposerait une priorité de l’écriture, il faut nécessairement rappeler qu’il s’agit d’une écriture en soi inerte qui doit être mise en usage par la lecture. Dylan serait, dans ce cas, cette extension de la lecture-écriture au travers de la musique. Une nouvelle voix/voie, peut-être, qui permet de consacrer une certaine approche  »mineure » de la littérature en favorisant son élargissement . N’est-ce pas ce que veut dire Alain Mabanckou quand il affirme que « les puristes et autres râleurs crieront certainement au sacrilège, au dévoiement de l’esprit du Nobel, mais je suis heureux que la littérature soit aussi reconnue dans la Parole, au sens poétique de ce terme ».

  1. De la voix de Dylan… vers de nouvelles voies pour la littérature..

Bob Dylan (de son vrai non Allen Zimmerman) est une figure emblématique de la littérature américaine. Il est considéré comme un musicien poète monumental, en témoigne le livre critique du célèbre professeur à Oxford Christopher Ricks  »Dylan’s vision of Sin » (Dylan est décrit comme  »the greatest living user of the English language »). Cette voix authentique américaine semble permettre une appréhension plus large de la littérature, dépassant le simple cadre définitionnel canonique. Dylan symboliserait une sorte d’élargissement des canons littéraires traditionnels. Cette voix authentique peut s’avérer d’autant plus utile dans un contexte où le sol américain est dominé par un vide discursif (Trump/H. Clinton). Face à ce vide qui envahit tout l’univers social américain, s’érige un Bob Dylan comme contre-poids à ce que peut représenter, par exemple, l’imagerie de Donald Trump dans le monde.  La question est donc aussi politique. D’ailleurs, Dylan a chanté politique. L’on pense notamment à Blowin’in the wind (une sorte d’hymne pacifiste contre la guerre au Vietnam) et à A Hard Rain’s A-gonna fall. La récompense de Dylan devrait avoir le sens d’un glissement du champ littéraire vers le terreau politique, au moment où la démocratie connait des heures bouleversantes.

Mais le prix Nobel de littérature n’était pas toujours une récompense faite pour les  »littéraires purs ». N’est-ce pas que Bergson a été lui aussi consacré  »Nobel de littérature »! Je pense qu’en ces temps contemporains, la définition de la littérature a beaucoup évolué. La dialectique des rapports poésie/chanson qui est retrouvée dans les textes de Dylan témoigne de ce bouleversement définitionnel de la littérature, du moins de ce changement qui tend à s’opérer vers de voies nouvelles… On ne peut pas ne pas penser aussi à Gainsbourg, cet artisan de l’art mineur. Gainsbourg, plus qu’un compositeur à textes, c’est de la poésie. C’est de la littérature. N’est-ce pas aussi que Aragon lui-même avait écrit des textes pour la chanson! Il n’y a pas vraiment d’incompatibilité. Il y a une question importante, peut-être, qui devrait retenir attention: comment être vulgarisateur de la pratique littéraire et de l’idée de poésie sans nécessairement discourir sur le terme de littérature? Cette manière de faire ne doit pas être perçue comme de la non-littérature ou comme une littérature-autre. La poétisation du réel qui s’exerce à travers l’acte de parole, est aussi littérature. La littérature n’est donc pas morte, mais serait peut-être plus vivante.

Ce geste de prix Nobel ne signifierait pas un rejet implicite ou explicite de la littérature, mais révèle, à notre sens, les manifestations d’autres zones dans la cartographie des paysages de l’univers littéraire. Il ne s’agit pas de la mort de la littérature, mais du dépérissement d’une manière de comprendre littérature- le littérarisme. En ce sens, Dylan représenterait le signe événementiel d’une littérature qui ne cesse de se faire contre sa nature, qui refuse d’accepter qu’elle est lieu d’une nature propre. La littérature doit se faire contre toute sacralisation du centrement. Les magiciens du monde clos du livre voient en toute peine leur pouvoir diminuer au profit d’une sorte de littérature hors-livre. La chanson de Dylan se vit et se lit comme une manière autre de produire littérature. Le livre n’est plus le temple sacré de la parole. La parole semble être plus libre que le livre. Mais attention! Il ne s’agit pas ici d’une sortie du livre. Mais d’une prise en compte de la multiplicité de manières ou de formes par/dans lesquelles peut s’opérer l’exercice de la littérature. La littérature, n’est-elle pas ce mouvement multiple du vécu s’opérant toujours par soi-même et contre soi-même?

Milcar Jeff DORCE

La rédaction de Ayibopost

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