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Bien que populaire, le « Ti Pwason » reste une pratique dangereuse

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Les relations sexuelles sans protection en milieu marin sont devenues monnaies courantes en Haïti. Selon les tenants de cette tendance, l’eau de mer empêche la propagation des maladies. Appelée « Ti pwason », cette pratique, comme bien d’autres, n’a aucun fondement scientifique

Dans la mer placide qui titille les plages de Le lambi à Mariani, une dizaine de jeunes femmes en bikini s’agrippent à des hommes souvent plus âgés qu’elles.

Ici, c’est une demoiselle lancée dans une danse lascive, ses bras enroulés autour du cou d’un homme. Là-bas, l’homme se tient derrière la jeune femme qui se penche en avant. L’eau est peu profonde et depuis la plage, on peut assister au spectacle gratuit des tours de reins et entendre les gémissements partagés.

Pour ce dimanche après-midi, déjà dix couples se sont jetés à l’eau pour des séances de Ti Pwason, sans préservatifs. Autour d’eux, une trentaine d’hommes en attente scrutent les faits et gestes de chaque femme. C’est une nouvelle forme de prostitution qui prend chair dans la zone. Avec 75 gourdes, les clients peuvent s’offrir une séance sexuelle en pleine mer.

Pour ce dimanche après-midi, déjà dix couples se sont jetés à l’eau pour des séances de Ti Pwason, sans préservatifs. Photo: Samuel Céliné / Ayibopost

Le « Ti Pwason » nage dans une croyance répandue en Haïti qui veut que les relations sexuelles non protégées soient sans risque si elles tiennent lieu dans la mer. Il s’agit d’une croyance « fausse et folklorique », répond le docteur Tony Bistiné, spécialiste en médecine générale intégrale (MGI).

Le médecin souligne que le VIH se propage grâce à la continuité sanguine très fréquente lors des rapports sexuels. « Quel que soit le milieu où a eu lieu un rapport sexuel sans préservatif, il peut toujours avoir une continuité sanguine et à chaque fois qu’il y a continuité sanguine, il y a possibilité de contracter un VIH », rappelle Tony Bistiné.

Le docteur William Pape du centre GHESKIO va plus loin. Il explique que « le sel marin empêche les sécrétions destinées à fluidifier les organes génitaux lors des rapports sexuels. Ainsi, sans cette sécrétion, le risque d’avoir des lésions augmente et favorise du coup, la continuité sanguine. »

Une croyance têtue

Malgré sa dangerosité, le « Ti pwason » compte de fervents adeptes, comme Pierrot. « L’eau de mer est si salée qu’elle détruit les spermatozoïdes et empêche les femmes de tomber enceintes », pense le jeune homme. « Si elle peut détruire les germes d’un enfant, elle peut aussi détruire les germes du SIDA ».

De son côté Marceus, un monsieur dans la cinquantaine, fait confiance aux prostituées. « Si elles acceptent d’avoir des rapports sexuels sans préservatif, c’est que l’eau de mer empêche vraiment de contracter le SIDA. Ces gens-là sont très soucieux de leur santé ».

« Black », l’une des prostituées pratiquant le Ti Pwason à Le lambi ne tient pourtant pas une position aussi tranchée. « On peut se faire infecter en ayant des rapports sexuels dans la mer avec une personne déjà infectée, mais moi, j’ai ma propre habitude de ne pas laisser les hommes éjaculer dans mon vagin, car c’est le sperme qui véhicule le SIDA ».

Moi, j’ai ma propre habitude de ne pas laisser les hommes éjaculer dans mon vagin, car c’est le sperme qui véhicule le sida ». Photo: Samuel Céliné / Ayibopost

« Voye monte »

Quoi qu’il en soit, les opinions qui précèdent n’ont aucune base scientifique. L’urologue Watson Exantus parle d’un problème de « voye monte ».

Selon Exantus, il y a effectivement une étude qui démontre qu’en dehors du milieu humain, le virus du SIDA est moins efficace. « Si vous mettez le virus dans de l’eau, son spectre infectant sera réduit à 1000/100, mais pas à zéro ». Donc, la possibilité de se faire infecter en ayant des rapports sexuels dans la mer existe.

Il ne s’agit pas de la première rumeur infondée qui circule sur les maladies sexuellement transmissibles en Haïti souligne William Pape. Le responsable du centre GHESKIO se rappelle les affirmations faisant passer le VIH pour une sorte de « mauvais sort envoyé par un ennemi » ou les « potions à base de feuilles » déjà proposées comme traitement au SIDA ou pour empêcher d’attraper le virus.

Selon le médecin plusieurs fois primé en dehors d’Haïti pour son travail auprès de la population, ces rumeurs ne sont pas correctes, mais « offrent des avantages à des opportunistes qui profitent de la situation des moins éduqués ».

Lisez également: Que font les maris des prostituées quand celles-ci travaillent? Ils expliquent.

Il établit ainsi un parallèle entre le niveau de l’éducation d’un peuple et la santé des citoyens. « Moins on est éduqué et informé, plus on est vulnérable face à ces genres de rumeurs sans fondement », avance le docteur.

Malgré la persistance de ces difficultés, le responsable du centre GHESKIO confie que le pays avance positivement dans la lutte contre le VIH. « Pendant à peu près 20 ans, le SIDA a été la première cause de décès en Haïti. Aujourd’hui, il occupe la 7e place et ne représente que 5.7% des décès ». Et sur les 150 000 à 175 000 citoyens infectés sur le territoire, près de 100 000 reçoivent des médicaments dévoile le responsable du centre GHESKIO.

 

Poète dans l'âme, journaliste par amour et travailleur social par besoin, Samuel Celiné s'intéresse aux enquêtes journalistiques.

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