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Avoir 30 ans en Haïti

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Être dans la trentaine et choisir de vivre en Haïti est une manifestation de foi. C’est marcher contre les faits sous la férule de l’espérance ; voguer vers l’inconnu dans un navire où chaque membre de l’équipage se remet à sa propre boussole. C’est un acte de déraison que l’amour seul justifie. Amour du défi. Amour de l’utopie. Amour de l’épique.  Amour suicidaire qui enfante le rêve.

Rêve de voir fructifier enfin les sacrifices de ceux qui ont bravé l’ignorance armée et instrumentalisée qui régnait avant 1986. De voir l’homme qu’il faut à la place qu’il faut. Mais le constat est navrant. Le pays est pris dans une spirale vicieuse. La précarité ne cesse d’engendrer la précarité. Le seul levier qui pouvait le soustraire du cercle et le propulser vers cette vie de dignité  à laquelle il a droit, a été fragilisé à la base; l’éducation de la masse a été pervertie en chiffres et slogan. La classe pauvre a été transformée en canaille. Elle est maintenue dans l’ignorance qui asservit et abrutit de telle sorte qu’elle continue à réclamer Barabbas. Elle ne reconnaît son intérêt que dans la satisfaction, que dis-je, le saupoudrage du quotidien. Elle trotte, elle s’agenouille, elle rampe. Elle a glissé dans l’involution jusqu’à devenir semblable à ses bourreaux.

Être dans la trentaine en Haïti, c’est se promettre de renverser cette situation de non-être.  De donner plus qu’on a reçu. De réussir là où les autres générations ont échoué. Ceci ne relève évidemment pas de l’aisance. C’est un acte de cœur que les lois de l’estomac et de la survie individuelle s’efforcent d’étouffer. Mais à l’impossible nous sommes tenus. Nos enfants auront besoin de cette terre qui ne leur est donné de posséder nulle part ailleurs. Nous ne pouvons pas nous permettre de continuer à être un peuple d’adoptés, de dispersés, un peuple qu’on regarde avec pitié et auquel on fait la charité. Nous aurons tout perdu le jour où nous perdrons notre capacité d’indignation, notre capacité d’avoir honte.

Être dans la trentaine en Haïti, c’est connaître des nuits où les paupières refusent de se fermer. C’est être en proie à des idées qui se bousculent, s’annulent, se renforcent,  se taisent,  se déchirent, se meurent et renaissent avec violence pour vous rappeler que vous pouvez faire une différence. Pour vous convaincre que chaque action compte! La physionomie des siècles se compose des traits qu’on imprime aux années.

Être dans la trentaine en Haïti, c’est vivre parmi des politiciens rapaces, des hommes d’affaires cupides, des intellectuels malhonnêtes, une société civile complice et un nombre incalculable de fumiers. Avec ou sans l’aide de ces fumiers, le jeune engagé est appelé à préparer le printemps et cultiver les roses qui orneront le front de l’Ayiti qui doit renaître. On ne quitte pas Haïti en tournant le dos à l’espace géographique qu’elle occupe. Haïti est cette femme fatale à l’amour de laquelle n’échappent que ceux qui ne l’ont jamais connue. Ici, beaucoup moins qu’ailleurs, l’avenir appartient davantage aux cœurs qu’aux esprits. Aux problèmes infinis de la patrie, il faut un dévouement inépuisable de sa jeunesse.

Dr Valéry MOISE

Image: Carolyn Cole/LA Times

Valéry Moise, est un jeune Médecin très impliqué dans la société civile. Il est également Président de Diagnostik Group, une organisation à but non lucratif oeuvrant dans les domaines d'éducation sanitaire, de promotion des Droits de l'enfant, d'éco-responsabilité et du développement durable. Valéry détient un double certificat en Droit de l'Enfant de l'Université de Moncton. Il est Ambassadeur de la francophonie des Amériques, Député au Parlement Francophone des Jeunes des Amériques, Mondoblogueur et Représentant Jeunesse au sein de l'Association Francophone de Défense des Droits de l'Enfant.

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