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Autant mourir en mer en quête d’espoir

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La première idée qui me vint en tête : j’aurais dû me rendre aux Bahamas avec mon parrain Dieuseul ! Il avait bien raison d’affirmer que ce pays était maudit ! Pour s’en sortir, il fallait être assez courageux pour fuir vers les contrées voisines. Loin d’être accueillantes, elles offrent une alternative et, l’espoir de meilleurs lendemains peut encore se tailler une place.

J’avais pourtant décliné la proposition de Dieuseul. Au fond de moi, je sais que ma lâcheté et ma paresse ont beaucoup influencé ma réponse négative. Je n’avais pas terminé mes études classiques et n’avait aucun métier. J’avais migré à Port-au-Prince où je m’étais laissé aller à la drogue et autres plaisirs malsains. Mon gagne-pain depuis déjà trois ans consistait à mendier devant le ministère de l’Économie et des Finances, et celui des Affaires sociales. Activiste politique amateur, voilà ce que j’étais devenu et la principale cause citoyenne qui me tenait à cœur était de m’assurer au moins un repas chaud quotidien et ma cigarette du soir.

Partir aux Bahamas aurait voulu dire prendre ma destinée en main… Faire mes adieux à la procrastination et à la paresse qui m’allaient comme un gant. Et puis, il y avait Nadège… Bien qu’elle ne soit pas la seule à qui je contais fleurette, elle avait su gagner mon cœur.  Je l’aimais certes, néanmoins mes amis n’auraient pas compris que je sois monogame !

Le mois dernier, je suis tombé malade et je n’ai eu d’autre recours que de me rendre chez ma mère dans une petite section rurale de la commune des cayes. J’étais sûr que ses « remèd fèy » me remettraient sur pied afin de rentrer au plus vite, reprendre mes activités. Avec les élections qui approchaient, j’étais sûr d’obtenir une somme rondelette des candidats en mal de pouvoir.  C’était sans compter sur l’alerte rouge et le cyclone ! Malgré les efforts du gouvernement pour  informer la population des risques encourus, nous n’étions pas préparés à une telle catastrophe. Personnellement, je n’y avais guère prêté attention.

Je suis encore abasourdi par le chaos qui m’environne. Assis, les yeux hagards, dans la cour en terre battue de cette école où nous avons trouvé refuge, je ne me remettais toujours pas de mes émotions. Je déroulais incessamment la suite des évènements de cette journée noire. Je me rappelle même avoir moqué le pasteur qui selon moi par excès de zèle, incitait bon nombre d’habitants à quitter leurs maisons situées particulièrement dans des zones à risques. Ma mère aurait surement suivi son conseil, si je n’avais pas été là.  Après tout, ce n’était pas le premier cyclone auquel notre case avait résisté. J’aurais peut-être pu renforcer, reconstruire cette vieille bicoque si j’avais eu un véritable salaire …

La violence des vents n’a laissé aucune des maisons du voisinage debout. Notre toit s’est envolé dès les premières heures. Impuissants, trempés et effrayés, nous avons tout laissé derrière nous, pour partir nous réfugier chez d’autres avant que ces derniers ne se retrouvent dans le même dénuement. Ma mère et ma cousine me lançaient des regards interrogateurs et s’attendaient à une quelconque instruction de ma part. Et pourtant, dans ma tête c’était le brouillard complet, je me sentais terrifié et paralysé.

Le caïd que je croyais être était prêt à faire dans son froc tant les frasques de la nature déchainée étaient ahurissantes.  Au fond de moi, j’ai un peu cru qu’il s’agissait de la fin du monde. J’ai enfin compris que j’avais peur de mourir. Non ! Enfin quand même pas tout de suite…

Je sortis de mes rêveries stériles à cause du tohu-bohu de la foule entourant un camion venu distribuer de l’aide. Bousculades, injures et menaces afin d’obtenir un seau comportant quelques produits alimentaires. Et sur ces seaux, les stickers portant le nom d’un  des candidats à la présidence s’érigeaient en porte-parole de la bonté de cœur de ce potentiel futur président.  Ah oui, il est certain qu’il se souciait du bien-être de la population ! Je regardais ma mère et ma cousine blotties l’une contre l’autre à même le sol.  Elles faisaient semblant de ne pas être dérangées par les cris hystériques de Madam Fanfan pleurant bruyamment la disparition de son fils Toni agé de dix ans, son baton vieillesse fauché à mort par une tole et des debris en pleine course.  Confinées dans leur chagrin, elles n’avaient même pas essayé de se frayer un chemin pour tenter de se servir. Je ravalai mon orgueil et me jetai avec détermination dans le cercle des sinistres déchainés, et quelques minutes plus tard j’en ressortais muni moi aussi d’un seau. Je le déposai en silence devant ma mère.

Le désespoir m’envahit sans que je puisse rien y faire … Je mis la tête dans les mains, je serrai les dents, pourtant je me surpris à pleurer, secoué par de violents sanglots. Mon cœur se serra et je sus que quitter ce pays était la seule option viable. Puisqu’on avait tout perdu, autant recommencer à zéro ailleurs. Mourir en mer de toute façon s’annonçait beaucoup plus passionnant que crever de faim à petit feu.

Moumousse

Très attachée à mon cher pays, je demeure une personnalité ouverte, qui à travers sa profession de juriste et son implication au sein de diverses organisations soutient le projet du renouveau d’Haïti.

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