POLITIQUESOCIÉTÉ

Aide humanitaire: capitalisme du désastre?

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Rien n’échappe aujourd’hui à la mondialisation, l’aide au développement telle qu’elle est organisée et gérée ne fait pas exception à la règle. Elle participe même à la mise en œuvre des politiques néolibérales et ce, à travers différents acteurs dont les institutions multilatérales, agences d’aide bilatérales, organisations non gouvernementales, entre autres. Dans ce contexte, la dichotomie Nord/Sud est une constante caractérisant les relations entre gouvernements, institutions et même individus. En effet, les organismes représentants des pays du Nord se positionnent toujours en dominants, et tenants des meilleures stratégies de développement, calquées sur leurs expériences nationales et sociétales. Les organismes d’aide ayant le plus d’influence sont majoritairement en provenance des pays riches, et ce n’est pas étonnant de constater des rapports de forces et même une relation dominant/dominé avec les organisations nationales des pays en développement agissant également dans le secteur. Faudrait-il condamner exclusivement les ONGs des pays du Nord pour cette situation affectant l’efficacité de l’aide ? Il faudrait éviter d’aller vite en besogne car divers facteurs peuvent expliquer ce manque à gagner. Il importe par conséquent de fixer les responsabilités au niveau de chaque groupe d’acteurs, et identifier les dérives ayant conduit à la disparition progressive des véritables principes humanitaires.

Les organismes d’aide des pays du Nord ont, dans la plupart des cas, l’avantage d’avoir les fonds nécessaires à la mise en œuvre effective des projets de développement. Ce privilège économique face au dénuement des organisations des pays du Sud, où même les budgets des gouvernements sont financés par l’aide extérieure, place les ONGs du Nord en position de force. Elles peuvent facilement imposer leurs politiques et leurs valeurs qui ne concordent pas forcément avec celles des ONGs du Sud. Ce conflit de valeurs est inévitable dans ces circonstances, et l’on ne peut blâmer les ONGs du Nord d’imposer des balises quant à l’utilisation des fonds alloués à l’aide. En effet, il faut reconnaitre que la pauvreté conduit certaines fois les nationaux à mettre en place des projets d’aide qui utilisent l’argent reçu à d’autres fins. En Haïti, les petites ONGs locales pullulent, et elles disparaissent souvent après avoir reçu le financement d’un bailleur pour un projet donné. Certes, parfois les charges de fonctionnement, le manque de ressources et la durée du financement obtenu ne leur permettent pas de survivre. Dans d’autres cas, il s’agit tout simplement d’enrichissement illicite et détournements de fonds. La méfiance des organismes du Nord se trouve ainsi justifiée quoique ces derniers ne soient pas non plus des Saints. Le pourcentage des fonds décaissés bénéficiant effectivement à la population cible est négligeable. Les dépenses de fonctionnement frôlent le luxe, la production et les ressources locales sont dévalorisées au profit de produits importés et d’experts expatriés aux salaires exorbitants. Nul besoin n’est de mentionner les agressions de toutes sortes dont sont victimes les populations en détresse par ceux qui personnifient l’aide humanitaire. Les principes d’humanité, d’impartialité, de neutralité et d’indépendance ne sont que lettres mortes et un vague souvenir pour les idéalistes.

Les ONGs des pays du Sud ont intérêt à apprendre à rendre compte de leur gestion, à établir des plans, à gérer les fonds de façon transparente ; et celles du Nord à dépasser leur chauvinisme, à découvrir et comprendre les mœurs et coutumes locales, à se rapprocher des besoins réels des populations en détresse. Entre-temps, comme vont les choses en Haïti, il ne s’agit que d’un nouveau marché, où la détresse humaine n’est que secondaire. Naomi Klein dans son livre intitulé « la stratégie du choc : la montée d’un capitalisme du désastre » conforte cette position lorsqu’elle expose la théorie selon laquelle les crises humanitaires ne représentent pour les tenants de l’aide humanitaire que de nouveaux marchés et chantiers lucratifs. Les intérêts géopolitiques des États conditionnent l’aide accordée à travers les agences d’aide occidentales. Les médias internationaux influencent notamment l’orientation et le timing de l’aide sans tenir compte des pressants besoins vitaux de nombreuses populations en proie à des épreuves concomitantes. Les organisations d’aide occidentales et leurs gouvernements, parfois en complicité avec leurs homologues locaux, tirent profit du désastre survenu en instrumentalisant la population, ou encore les différentes parties impliquées dans les cas de conflits. Au lieu de contribuer à l’éradication de la pauvreté et de servir les vrais démunis, le système humanitaire devient une source d’enrichissement pour les pays occidentaux et leurs ressortissants, et pour une catégorie de la population nationale, creusant ainsi des inégalités sociales déjà criantes. À quand une véritable prise de conscience et un retour aux valeurs altruistes et désintéressées prônées par l’occident et qui devraient caractériser l’aide humanitaire ?

Très attachée à mon cher pays, je demeure une personnalité ouverte, qui à travers sa profession de juriste et son implication au sein de diverses organisations soutient le projet du renouveau d’Haïti.

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